Introduction. Les nouvelles Trente Glorieuses et la 5e révolution technologique : l’intelligence artificielle.
1re PARTIE — LES EXPERTS DES CYCLES ÉCONOMIQUES & SOCIAUX DE LONG TERME
I — KONDRATIEFF – LES CYCLES ÉCONOMIQUES DE LONG TERME
1. Principales caractéristiques d’un cycle de Kondratieff. Confrontations au cycle, n° 4 : 1953-2012
1.1. Durée des cycles. Les deux grandes phases : ascendante et descendante
1.2. Application des cycles aux « éléments importants de la vie économique »
1.3. Caractère international des cycles
1.4. Tout cycle prépare le suivant
1.5. Tout cycle est lié au « renouvèlement des biens capitaux fondamentaux »
1.6. Prédominance des années de croissance dans les vagues ascendantes et des années de décroissance dans les vagues descendantes
1.7. Les principales guerres et révolutions se situent à la fin de la phase ascendante des cycles
2. Validation des caractéristiques générales du cycle de Kondratieff par celles du cycle n° 4 1953-2012
3. Critique sommaire de la théorie de Kondratieff
3.1. Inachèvement, de l’aveu même de l’intéressé, de la théorie des grands cycles économiques
3.2. Imprécision des dates de retournement des cycles
3.3. Dispersion des critères économiques
3.4. Absence de la sociologie et de la psychologie dans l’identification des cycles
3.5. Kondratieff n’utilise pas, à juste titre, la métaphore des saisons
4. Proposition de nouvelle datation des cycles de Kondratieff n° 3 et 4
4.1. Report de la fin du cycle n° 3 à 1953 au lieu de 1949
4.2. Le cycle n° 4 : 1953-2012
4.3. Tableau récapitulatif des cinq cycles de Kondratieff
II — JOSEPH SCHUMPETER – LA DESTRUCTION CRÉATRICE
1. Définition et caractéristiques générales de la destruction créatrice
2. Incidence de la destruction créatrice sur les « vieilles affaires » et sur les prix
III — SARKAR – LES CYCLES SOCIAUX
1. L’ère des travailleurs. Le chaos général
2. L’ère des guerriers. La remise en ordre
3. L’ère des intellectuels. L’organisation de la société
4. L’ère des propriétaires. Le règne de l’argent roi et de la corruption
5. La situation des États-Unis en 1985 : le sommet de l’ère des propriétaires
6. Le cycle social mondial en 2021 : de la fin de l’ère des propriétaires vers l’ère des travailleurs puis des guerriers ?
IV — LARS TVEDE – LES CYCLES FINANCIERS
1. La rotation chronologique de long terme des marchés financiers
2. Les renversements de tendance de long terme
V — WALTER SCHEIDEL — INÉGALITÉS ET CYCLES — LES 4 CAVALIERS DE L’APOCALYPSE
1. Walter Scheidel : les inégalités accompagnent les crises, mais n’en sont pas la cause
2. Thomas Piketty : les inégalités sont la cause des crises
VI — DAVID KNOX BARKER & MARKET CYCLE DYNAMICS
1. L’analyse technique du cycle de Kondratieff. Résultats et limites
2. Trois merveilles de synthèse
2.1. 2021 n’est pas 1929, mais 1949
2.2. La lutte de Titans entre déflation et inflation est toujours en cours
2.3. Deux indicateurs phares : les indices des matières premières et des frets
VII — LES AGENCES DE RENSEIGNEMENTS FINANCIERS
1. Une mine d’or : les séries statistiques longues
2. La puissance des logiciels d’analyse des marchés financiers.
3. Un phénomène essentiel peu connu en matière de cycle : les changements de tendance de long terme s’effectuent à date déterminée
VIII – KAI-FU LEE – LA REVOLUTION DE L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE
1. Un ouvrage de référence : « La plus grande mutation de l’histoire »
2. La « rupture technologique majeure » : le deep learning
IIe PARTIE — LE RAPPORT DE LA C.I.A. « LE MONDE EN 2040 » & LA 5e REVOLUTION TECHNOLOGIQUE
I — UNE MINE D’INFORMATION, UN ÉCHEC MÉDIATIQUE
1. Une méthode d’analyse inadaptée au public de l’ouvrage : l’étude prospective
2. Moins de 15 % consacrés à l’économie et aux nouvelles technologies
3. Révolution industrielle ? Cycle économique ? Destruction créatrice ? Connait pas !
4. Le rapport ignore la cinquième révolution technologique
5. Un pessimisme général qui ne reflète pas le potentiel de la cinquième révolution technologique
II — LE RAPPORT DE LA C.I.A. AU CRIBLE DU 5e CYCLE DE KONDRATIEFF
1. Population : plus 1,4 milliard d’habitants. Classe moyenne : 36 %
2. Environnement. Le double emploi nécessaire avec le rapport du GIEC
3. Les trois moteurs de la 5e révolution technologique
3.1. Le premier moteur : « La généralisation de l’intelligence artificielle »
3.1.1. Une technologie de rupture : le deep learning
3.1.2. Le diagnostic de la C.I.A. : « la généralisation de l’intelligence artificielle »
3.1.3. Kai-Fu Lee versus C.I.A.
3.2. Le 2e moteur : La généralisation du numérique dès 2025
3.2.1. Selon la CNUCED, « en 2019, l’ère du numérique n’en est encore qu’à ses balbutiements »
3.2.2. Selon la C.I.A., et d’autres sources le numérique représentait déjà en 2020 30 % du PIB mondial
3.2.3. L’accroissement hyper rapide du nombre d’internautes
3.2.4. La généralisation des utilisations du numérique : huit secteurs
3.2.5. La généralisation des objets connectés
3.2.6. La généralisation à court terme de l’industrie 4.0
3.3. Le 3e moteur : les biotechnologies : 20 % de l’activité économique mondiale en 2040
4. « L’ouragan perpétuel de la destruction créatrice »
5. : « L’avenir incertain de l’argent » : les monnaies numériques souveraines ou privées
6. L’un des trois principaux défis : la gestion de la dette et des crises financières
7. Deux exemples d’évolution dans deux secteurs clés
7.1. Les énergies fossiles demeureront prédominantes malgré le fort développement des énergies renouvelables
7.2. L’extension de l’exploration spatiale, la croissance spectaculaire du secteur privé
8. La place de l’Europe : entre les deux leaders : les Etats-Unis et la Chine
IIIe PARTIE – LES 4 GRANDES TENDANCES ÉCONOMIQUES DE LONG TERME
1 L’existence des « grandes vagues dans la conjoncture »
1.1. Le constat par Kondratieff des « grandes vagues dans la conjoncture »
1.2. La confirmation des « grandes vagues dans la conjoncture » dans le 4e cycle 1953-2012
2. La confirmation empirique, sinon théorique, des cycles de Kondratieff
2.1. La théorie des grands cycles économiques n’est toujours pas démontrée
2.2. Kondratieff avait néanmoins conclu, empiriquement, à l’existence probable des cycles longs
2.3. L’observation des deux derniers cycles tend à confirmer l’existence des cycles longs
2.4. L’apport nécessaire des disciplines modernes
3. L’enchainement des révolutions technologiques
4. Le caractère inéluctable des crises économiques et financières
4.1. L’amputation majeure ou l’abandon de la convertibilité du dollar en or
4.2. La perfusion permanente de taux d’intérêt faibles ou nuls de 2008 à 2021
4.3. Les électrochocs. En juin 1982 le taux directeur de la Fed passe de 11,7 à 14 % !
II — CONCLUSION. ENTRE 5e RÉVOLUTION, DESTRUCTION CREATRICE & CRISES : L’ADAPTATION
* * *
KONDRATIEFF AVAIT RAISON ! LES NOUVELLES TRENTE GLORIEUSES SONT ARRIVEES ! DES 2012 !
Introduction. Les nouvelles Trente Glorieuses et la 5e révolution technologique : l’intelligence artificielle.
L’intelligence artificielle est le moteur de la plus vaste révolution technologique de l’histoire (Kai-Fu Lee)
Oui ! Kondratieff avait raison ! Les nouvelles Trente Glorieuses sont, bel et bien, arrivées ! Elles sont portées par la cinquième révolution technologique, celle de l’intelligence artificielle, ainsi que par « l’ouragan perpétuel de la destruction créatrice », de Schumpeter, accompagnant génétique impitoyable de toute révolution de cette nature.
De plus, la « rupture technologique majeure » déclencheur de cette cinquième révolution, rupture paradoxalement encore très peu connue car noyée dans l’océan Numérique, démontre que cette arrivée s’est produite beaucoup plus tôt que je ne le prévoyais récemment encore, c’est-à-dire dès 2012 et non en 2020.
Cette avance constitue un facteur très positif, car elle signifie que cette révolution est déjà bien engagée, que nous serions déjà à la mi- printemps du nouveau cycle de Kondratieff, le cinquième, et donc en phase d’accélération économique, si toutefois la Covid 19 a bien dit son dernier mot et si notre planète ne se réchauffe pas trop.
Il est clair que la caractéristique historique de cette révolution de l’I.A. est que, comme la précédente, celle des N.T.I.C., elle n’est plus industrielle, mais intellectuelle. La première est parfaitement identifiée et synthétisée ci-dessous par Kai-Fu Lee. Ce dernier est présenté dans le best-seller mondial dont il est l’auteur : LA PLUS GRANDE MUTATION DE L’HISTOIRE, publié en France en mai 2021, comme « l’un des experts mondiaux les plus reconnus en intelligence artificielle » :
L’intelligence artificielle est le moteur de la plus vaste révolution technologique de l’histoire… Le développement récent du Deep Learning a tout changé… Il s’agit d’une rupture technologique majeure… Le véritable tournant s’est produit en 2012.
C’est l’immense espoir suscité par la technologie de rupture radicale qu’est l’intelligence artificielle, qui m’a incité à comparer ces nouvelles Trente Glorieuses à celles de l’après-Seconde Guerre mondiale, bien que technologies, époques et circonstances soient, à l’évidence, très différentes.
Nous verrons que cette cinquième révolution fait elle-même partie intégrante du nouveau cycle de Kondratieff, le n° 5, lequel a commencé vers 2012 et devrait se terminer dans les années 70.
Après avoir traversé tant bien que mal le long « Hiver des deux grands krachs » (2000 et 2008), hiver qui a terminé le quatrième cycle (1953-2012), nous serions donc au début de la phase ascendante de ce cinquième cycle, c’est-à-dire de son printemps, puis de son été, et ce pour une durée de vingt à trente ans !
Comme chacune des quatre phases ascendantes des quatre grands cycles technologiques, économiques et sociétaux précédents, celle-ci devrait voir la croissance globale, sinon ininterrompue, des trois principaux facteurs de l’économie : la croissance économique elle-même, l’inflation et les taux d’intérêt, ainsi que, par conséquent, celle d’un grand nombre de secteurs de l’économie qui en dépendent.
Prétendre pouvoir connaitre vingt à trente ans à l’avance l’orientation générale de l’économie et de la société peut paraitre, à premier vue, comme le rêve le plus fou d’un futurologue déjanté. Mais force est de constater qu’au cours du dernier cycle de Kondratieff, 1953-2012, les deux principaux indicateurs économiques que sont l’inflation et les taux d’intérêt ont suivi deux phases successives d’une trentaine d’années chacune, la première ascendante de 1953 à 1981, la seconde descendante de 1981 à 2012. (Cf. graphique au début de la Ière partie).
C’est ce genre de prévision que permet de faire l’analyse des cycles de Kondratieff, dont j’ai dit, dans un précédent article, qu’il s’agit de l’un des meilleurs outils de prévisions économiques et financières de long terme.
Sachant que les indicateurs généraux ci-dessus sont eux-mêmes le reflet d’indicateurs secondaires. Nous verrons, par exemple, que l’indice Nasdaq des valeurs technologiques est en très forte hausse continue – près de 87 % par an !!! – depuis 2009 c’est à dire depuis douze ans. Est-ce l’effet du hasard si cette date correspond à l’apparition de la « technologie de rupture majeure » qu’est le deep learning ?
Cet article est la suite et le développement d’un précédent intitulé « Du krach 2020 aux nouvelles 30 glorieuses en 2021 ? » que j’ai publié dans ce blog fin août 2020. Les indicateurs sur lesquels je me basais à l’époque pour élaborer cette prévision conditionnelle n’étaient alors encore qu’au vert pâle. D’où le point d’interrogation terminal.
Depuis, une année s’est écoulée, et ces indicateurs sont pour la plupart passés au vert foncé, voire au vert vif. Ce qui justifie le titre optimiste de ce nouvel article alors même que foisonnent encore les prédictions apocalyptiques.
D’autant que, par ailleurs, la serendipity, ou si l’on préfère, l’heureux hasard, est venu enrichir à deux reprises, quoique très tardivement, in extremis, le contenu de cet article. Il m’a fourni l’information clé qui me manquait pour bien identifier la fin du quatrième cycle (1953 – 2012) et le passage au cinquième (2012-2070).
Tout d’abord, est paru fin avril 2021 le rapport de la C.I.A. intitulé « Le monde en 2040 ». L’une des « quatre forces structurelles » que celui-ci prend en considération est la technologie. Il insiste beaucoup à ce sujet sur « la généralisation de l’intelligence artificielle ». Il s’agit même du titre de l’une de ses divisions.
Cette insistance, venant d’un organisme aussi bien informé en la matière, avait valeur de diagnostic et m’a mis la puce à l’oreille. Elle m’a conduit, en me fondant sur les travaux de Kondratieff et Schumpeter, à retenir l’I.A. comme LA technologie de rupture différenciant cette cinquième révolution de la quatrième, celle des N.T.I.C. sur la base de l’élément extraordinairement novateur qu’est le deep learning. Il s’agit, on le sait, de la faculté d’auto-apprentissage en profondeur qu’a ce dernier outil de l’I.A..
C’est cette technologie de rupture qui permet de bien distinguer l’I.A. des N.T.I.C. Ces dernières étaient certes nouvelles lors du quatrième cycle (1953-2012) mais elles ne sont plus aujourd’hui que des technologies de continuation.
La grande différence est que les T.I.C., notamment les logiciels, sont programmées par l’homme alors que l’I.A., qui est fondée sur les réseaux neuronaux artificiels, est aujourd’hui semi-autonome en attendant de l’être pleinement comme certains spécialistes le prévoient. On qualifie la première d’intelligence étroite et la seconde d’intelligence générale.
Mais le rapport de la C.I.A. ayant un caractère très général — il ne fait même pas mention du deep learuning — j’ai complété ma documentation par la consultation d’un certain nombre d’ouvrages, en privilégiant ceux écrits par des praticiens reconnus. L’I.A. fait l’objet d’une très abondante littérature et, le moins qu’on puisse dire est que cette dernière ne brille pas toujours par sa clarté.
Le second heureux hasard fut la publication en mai 2021 de l’édition française de l’ouvrage de Kai-Fu Lee mentionné plus haut. Le critique du Figaro cité en quatrième de couverture le présente comme « l’un des meilleurs livres sur la révolution de l’intelligence artificielle ». Je n’en ai eu connaissance qu’en septembre de cette année. C’est, à mon avis, de très loin, l’ouvrage le plus clair sur ce sujet. L’auteur consacre notamment une partie, très instructive, et compréhensible par tous à « Une brève histoire du Deep Learning ».
L’objet de cet article est de faire le point sur ces trois vastes sujets, très corrélés : le nouveau cycle de Kondratieff, l’arrivée de la cinquième révolution industrielle, celle de l’intelligence artificielle, généralement non encore annoncée comme telle et les grandes lignes du contenu prévisible de cette révolution.
Kondratieff est né en 1892 et mort en 1938. Il n’a donc connu en entier que les deux premiers cycles qui portent son nom et la moitié du troisième cycle, c’est-à-dire sa phase ascendante. Il était donc indispensable d’une part de vérifier la réalité même des troisième et quatrième cycles et d’autre part de procéder à une critique de la théorie des cycles économiques et sociétaux de long terme.
Nous verrons, à ce sujet, que si les travaux de Kondratieff et de Schumpeter restent globalement tout à fait d’actualité en ce qui concerne la description générale des cycles et les lois qui les gouvernent, certaines disciplines peu ou pas connues à leur époque : l’informatique, la sociologie, la psychologie et le marketing, y apportent un nouvel éclairage.
Compte tenu de la complexité des trois sujets traités, il ne peut s’agir ici que d’un simple essai, quoiqu’assez documenté. On ne trouvera dans cet article que le point de vue d’un praticien qui observe depuis plus de vingt ans les cycles économiques et financiers de moyen et long terme. Il les a longtemps utilisés avec profit tant, antérieurement sur le plan professionnel, qu’aujourd’hui encore en matière de gestion de patrimoine.
Je diviserai mon propos en trois parties :
I – Dans la première partie, j’ai rapidement résumé les travaux de ceux que l’on peut considérer comme les principaux experts des cycles technologiques, économiques et sociétaux de long terme, en y apportant le cas échéant certaines critiques et/ou précisions. Une large place a été consacrée à l’actualisation des deux derniers cycles de Kondratieff, les n° 3 et 4, notamment aux questions essentielles que sont la réalité même de leur existence, leur datation et leur contenu.
La conformité des caractéristiques du 4e et dernier cycle (1953 – 2012) aux lois définies par Kondratieff ainsi que les travaux d’auteurs contemporains, Ravi Batra, Lars Tvede, Walter Scheidel, David Knox Barker, Kaï-Fu Lee et des agences de renseignement économique et financier, confirment directement ou indirectement, l’entrée dans le cycle de Kondratieff n° 5 et donc dans la cinquième révolution technologique, celle de l’IA.
II – La deuxième partie portera sur l’intégration dans le cinquième cycle (2012/2070) des informations, concernant principalement la technologie, apportées par le rapport de la C.I.A. sur le Monde en 2040. Sans cette intégration dans le cadre d’un cycle technologique et économique ces informations, formulées dans ce rapport comme de simples énumérations prospectives perdent, à mon avis, une grande partie de leur caractère prédictif. Ce qui explique sans doute l’échec médiatique de celui-ci malgré la richesse de son contenu.
III – Dans la troisième partie, je procéderai, en me basant sur les informations figurant dans les deux premières et en les complétant si nécessaire, à la synthèse de ce que j’appelle les « quatre grandes tendances économiques de long terme », tendances dont la connaissance semble très utile tant sur le plan professionnel que personnel :
- L’existence de « grandes vagues dans la conjoncture»
- La confirmation empirique, sinon théorique, des cycles de Kondratieff
- L’enchainement des révolutions technologiques
- Le caractère inéluctable des crises économiques et financières
La conclusion de cet essai sur la révolution technologique historique qu’est celle de l’I.A. et sur l’ « ouragan de destruction créatrices » qu’elle suscite déjà coule de source. Elle tient en un seul mot : l’adaptation. Nous en verrons les lignes directrices selon les deux experts que sont la C.I.A. et le Forum Économique de Davos.
1e PARTIE — LES EXPERTS DES CYCLES ÉCONOMIQUES & SOCIAUX DE LONG TERME
I — KONDRATIEFF – LES CYCLES ÉCONOMIQUES DE LONG TERME
A tout seigneur, tout honneur. Kondratieff demeure le grand spécialiste des cycles économiques de long terme. Comme je le disais dans l’introduction, ses travaux sont tout à fait d’actualité en ce qui concerne la description générale des cycles et l’élaboration des lois qui les gouvernent.
Je laisserai aux économistes chevronnés qui s’intéressent à la théorie des cycles de Kondratieff, j’ignore s’il en existe, le soin de compléter cette théorie dans tous ses aspects.
Je me placerai ici sous l’angle du praticien, pour examiner ce que l’on peut retenir aujourd’hui des travaux de Kondratieff sur le plan pratique notamment en matière économique et financière.
Je rappellerai tout d’abord les principales caractéristiques d’un cycle de Kondratieff et les confronterai à celles du dernier cycle, le n° 4 : 1953-2012.
Je procèderai ensuite à une critique sommaire de certains points de la théorie de Kondratieff, notamment en ce qui concerne la validité scientifique de celle-ci.
Je proposerai enfin de nouvelles datations de la fin du cycle n° 3 et du début du cycle n° 4, celles-ci me semblant plus conformes aux caractéristiques des cycles telles que fixées par Kondratieff.
1. Principales caractéristiques d’un cycle de Kondratieff. Confrontations au cycle, n° 4 : 1953-2012
La première et seule édition en langue française des principales œuvres de Kondratieff a été publiée en 1992 par les éditions ECONOMICA sous le titre traduit de l’original « LES GRANDS CYCLES DE LA CONJONCTURE ». Cette édition a été établie et présentée par Louis FONTVIELLE, directeur de recherche au C.N.R.S. Voici ce que celui-ci dit de l’auteur :
« La rigueur scientifique tout à fait exceptionnelle de ses analyses le classe parmi les plus grands économistes et constitue un modèle pour tous les chercheurs en sciences sociales ».
J’ajouterai que de cette « rigueur scientifique tout à fait exceptionnelle » découle une parfaite clarté dans le propos et une grande facilité de lecture. On ne peut qu’admirer le fait que, bien avant l’existence du numérique, Kondratieff soit parvenu à collecter, à analyser et à synthétiser une information d’une telle richesse, tant au niveau national qu’international, richesse qui fait que son œuvre demeure tout à fait d’actualité.
1.1. Durée des cycles. Les deux grandes phases : ascendante et descendante
Dans un précédent article « Du krach de 2020 aux nouvelles Trente glorieuses en 2021 ? » je présentais comme suit le cycle de Kondratieff :
C’est le génie de Nicolaï Kondratiev d’avoir compris et démontré, près de cent ans avant l’informatique, les bases de données et les moteurs de recherche, que des données aussi essentielles que la croissance, l’inflation ou les taux d’intérêt, entre autres, suivent des cycles de 50/60 ans, et surtout que ces cycles se divisent eux-mêmes en deux grandes vagues seulement. La première est croissante, la seconde décroissante.
Le point clé en matière de prévision est la très longue durée de chacune de ces deux grandes vagues : plusieurs dizaines d’années. Il est clair que si l’on peut tabler à l’avance sur un taux de croissance, d’intérêt ou d’inflation d’une durée de vingt ou trente années et sur un taux de décroissance de ces trois paramètres les vingt ou trente années suivantes cela change tout en matière d’anticipation.
Confrontation au cycle n° 4 (1953-2012). Ce cycle constitue un véritable cas d’école avec ses deux grandes parties emblématiques de ce type de cycle : croissance de 1953 à 1981, décroissance de 1981 à 2012.
1.2. Application des cycles aux « éléments importants de la vie économique »
Kondratieff observe les mêmes cycles de long terme dans ce qu’il appelle « les éléments importants de la vie économique » : Prix (inflation), taux d’intérêt, salaire nominal, commerce extérieur, houille.
Confrontation au cycle n° 4. On constate les mêmes cycles de long terme en ce qui concerne les quatre principaux indicateurs : inflation, taux d’intérêt, croissance de l’économie, matières premières, dont notamment le pétrole.
Non analysés : salaire nominal, commerce extérieur
1.3. Caractère international des cycles
Kondratieff :
« Les grands cycles déterminés pour les éléments importants de la vie économique ont un caractère international » ce qui vaut aussi « pour les pays capitalistes d’Europe » et « est aussi valable pour les États-Unis »
Confrontation au cycle n° 4 : même observation. Les courbes sont similaires dans ces différentes zones géographiques. De plus, avec la mondialisation de l’économie, le cycle de Kondratieff est lui aussi devenu mondial.
1.4. Tout cycle prépare le suivant
Kondratieff :
« Avant le début de la phase ascendante de chaque grand cycle, et parfois à son tout début, on observe des transformations importantes dans les conditions fondamentales de la vie économique de la société.
Ces transformations se traduisent, en général… par de profonds changements dans les techniques de production et d’échange (eux-mêmes précédés par des inventions ou découvertes techniques importantes), par un changement des conditions de la circulation monétaire, par un rôle croissant de pays nouveaux dans l’économie mondiale »
Confrontation au cycle n° 4 : Révolution des N.T.I.C. Abandon de la convertibilité dollar/or, politique ultra accommodante des banques centrales, rôle croissant de la Chine
1.5. Tout cycle est lié au « renouvèlement des biens capitaux fondamentaux »
Kondratieff :
Il ressort clairement que la vague ascendante d’un grand cycle est liée au renouvèlement et à l’extension des biens capitaux fondamentaux et à un regroupement nouveau des principales forces productives de la société. Mais ce processus suppose d’énormes mobilisations de capitaux.
Confrontation au cycle n° 4 : apparition des N.T.I.C., concentration des GAFAM, politique des banques centrales, création des cryptomonnaies souveraines et privées.
1.6. Prédominance des années de croissance dans les vagues ascendantes et des années de décroissance dans les vagues descendantes
Confrontation au cycle n° 4 : Aucun krach dans la vague ascendante : 1953-1982. Deux krachs dans la phase descendante : 2000 (internet) et 2008 (subprimes).
1.7. Les principales guerres et révolutions se situent à la fin de la phase ascendante des cycles
Kondratieff :
« La seconde loi empirique peut, à notre avis, se résumer ainsi : les périodes de vagues ascendantes des grands cycles sont, en règle générale, bien plus riches en bouleversements sociaux (révolutions, guerres) que les périodes de vagues descendantes.
Confrontation au cycle n° 4 : guerre froide, construction en 1961 du mur de Berlin, crise de Cuba en 1962, mai 1968.
2. Validation des caractéristiques du cycle de Kondratieff par celles du cycle n° 4 1953-2012
La confrontation des caractéristiques du cycle n° 4 (1953-2012) aux caractéristiques du cycle de long terme définies par Kondratieff montre ne montre que des similitudes ; comme l’emblématique succession de deux grandes vagues, l’une ascendante, l’autre descendante, l’application des cycles aux « éléments importants de la vie économique », la préparation du cycle suivant par le précédent, ou encore le caractère international des cycles.
Ces similitudes constituent un élément important de la confirmation empirique des cycles. Il reste que pour valider scientifiquement la théorie des grands cycles économiques il faudrait procéder, comme l’a fait Kondratieff en son temps, à une analyse statistique systématique.
3. Critique sommaire de la théorie de Kondratieff
3.1. Inachèvement, de l’aveu même de l’intéressé, de la théorie des grands cycles économiques
Kondratieff est, on l’a vu, né en 1892 et mort en 1938. Il n’a donc pu analyser en entier que les deux premiers cycles économiques de long terme et la phase ascendante du 3e cycle.
S’il avait eu une durée de vie normale Kondratieff aurait pu se prononcer sur deux périodes essentielles : la phase descendante et la fin du troisième cycle (1895-1953), puis le début du quatrième cycle (1953-2012) et tenir compte ainsi de la période essentielle et exceptionnelle que fut la Seconde Guerre mondiale.
Mais il y a une conséquence plus grave, car elle concerne l’existence même de la théorie des grands cycles. En scientifique rigoureux Kondratieff admet honnêtement que le laps de temps dont il a disposé est insuffisant pour valider la théorie des grands cycles :
« Si le laps de temps que nous avons pu étudier est suffisant pour trancher la question de l’existence de grandes vagues dans la conjoncture, il est insuffisant pour pouvoir aussi affirmer de façon absolument catégorique le caractère cyclique de ces vagues »… « Je ne prétends pas du tout donner dès à présent une théorie achevée des grands cycles ».
3.2. Imprécision des dates de retournement des cycles
Kondratieff ne disposait ni de l’informatique ni par conséquent de bases de données informatisées et de logiciels d’analyse économique et financière. Il n’est donc pas surprenant qu’il « estime impossible de déterminer avec une parfaite exactitude les années de retournement dans le développement des grands cycles… à 5-7 ans près ».
On remarque à ce sujet que Kondratieff ne donne que des fourchettes de dates, « à 5-7 ans près » en ce qui concerne le début et la fin des cycles et de chacune des deux phases, ascendante et descendante, soit :
Cycle n° 1 : 1780-1790/1844-1851. Cycle n° 2 : 1844-1851/1890-1896. Début de la vague ascendante du troisième cycle : 1891-1896, Début de la vague descendante du troisième cycle : 1914-1920
Les écarts sont, on le voit, de cinq à sept ans. Or malgré cette incertitude et le petit nombre de cycles examinés, Kondratieff fixe des durées moyennes de cycles précises, c’est-à-dire entre 48 et 55 ans.
Nous verrons que les moyens numériques dont on dispose aujourd’hui permettent de fixer des dates très précises, en temps réel c’est-à-dire au minimum au jour près, de changement de tendance des principaux indicateurs économiques et financiers.
3.3. Dispersion des facteurs économiques
Kondratieff a peut-être voulu trop bien faire en analysant simultanément les facteurs primaires comme l’inflation et les taux d’intérêts et des facteurs secondaires tels que le salaire nominal, le commerce extérieur ou les cours de la houille. Il a lui-même constaté qu’il n’y avait pas toujours de corrélations entre les seconds et les premiers. Il n’a pas insisté sur le fait que l’inflation est le facteur principal, qui conditionne tous les autres.
3.4. Absence de la sociologie et de la psychologie dans l’identification des cycles
À l’époque de Kondratieff, sociologie et psychologie étaient peu développées en ce qui concerne l’analyse des phénomènes économiques, alors qu’on les considère comme essentielles aujourd’hui
3.5. Kondratieff n’utilise pas, à juste titre, la métaphore des saisons
Nulle part dans la seule édition française dont nous disposons on ne trouve dans la définition des cycles de long terme par Kondratieff la métaphore des saisons que l’on retrouve fréquemment par contre dans de nombreux ouvrages ou articles qui traitent du sujet. Ceux-ci associent le printemps et l’été à la phase ascendante et l’automne et l’hiver à la phase descendante. Kondratieff se borne, lui, à trois phases : croissance, phase plateau et dépression.
Si, cette métaphore, que j’ai moi-même utilisée dans l’article précédent et dans celui-ci, a le mérite de toucher les esprits, elle peut aussi introduire un biais non scientifique dans l’analyse des cycles. Elle conduit par exemple certains experts à affecter coute que coute des durées égales à chacune des quatre saisons, ce qui ne correspond pas nécessairement aux phénomènes économiques observés.
- Proposition de nouvelle datation des cycles de Kondratieff n° 3 et 4
La datation des cycles n° 3 et 4, inconnus on le rappelle de Kondratieff, est un élément, important, car la régularité de leur périodicité serait la confirmation de leur caractère cyclique. Le cas se pose tout particulièrement pour ces cycles n° 3 et 4 pendant lesquels se sont déroulées les deux guerres mondiales.
4.1. Report de la fin du cycle n° 3 à 1953 au lieu de 1949
Kondratiev a daté à 1891-1896 le début de la phase ascendante du cycle n° 3 et à 1914-1920 le début de la phase descendante de ce cycle. La Première Guerre mondiale se situe donc en ce tout début de la phase descendante
On a vu par ailleurs qu’en ce qui concerne le facteur le plus significatif qu’est l’inflation, critère que nous avons retenu dans notre précédent article et dans celui-ci, Kondratieff a calculé que les phases de baisse étaient de 35 ans pour le premier cycle et 23 ans pour le second.
Si l’on ajoute successivement ces deux derniers chiffres aux dates prévisionnelles de début de la phase descendante du 3e cycle, 1914-1920, on obtient pour la fin de cette phase les deux fourchettes suivantes : 1937/1943 et 1949/1955. On voit que la première fourchette n’inclut pas la Seconde Guerre mondiale, contrairement à la seconde. C’est donc cette dernière qu’il y a lieu de retenir.
On a vu plus haut que selon Kondratieff, les principales guerres et révolutions se situent dans la fin de la phase ascendante des cycles. Ceci correspond bien à la Première Guerre mondiale, puisque la date de la fin de cette dernière, 1918, coïncide avec celle du sommet de la phase ascendante du 3e cycle. À cette période correspond par ailleurs une forte inflation ce qui correspond en général, selon Kondratieff, aux périodes de guerre.
En revanche, la période de la Seconde Guerre mondiale, 1939-1945, ne concorde pas avec le début d’un cycle de Kondratieff, car il s’agit aussi, comme celle de la Première Guerre, d’une période très inflationniste. Or en début de cycle de Kondratieff, l’inflation est faible.
4.2. Le cycle n° 4 : 1953-2012
C’est donc à bon droit que certains spécialistes du cycle de Kondratieff font commencer le quatrième cycle de Kondratieff après la seconde guerre mondiale, en général en 1949, ce qui correspond, à partir du début du cycle en 1891/1896, à une durée totale de cycle comprise entre 53 ans et 58 ans qui se situe dans la fourchette calculée par Kondratieff.
Par contre ceci ne correspond pas au constat de Kondratieff selon lequel les guerres ou révolutions se situent dans la phase haussière des cycles. On peut répondre à cette objection que nombre d’historiens considèrent la Seconde Guerre mondiale comme la conséquence directe de la première, les réparations exorbitantes demandées à l’Allemagne par les vainqueurs ne pouvant que causer sa ruine, ce qui s’est effectivement produit, et l’inciter à la revanche. L’historien très connu qu’est Ian Kershaw considère qu’il s’agit en fait d’une seule et même guerre.
Je formulerai une seconde objection. Les sept premières années de l’après-guerre, 1946-1952, sont des années très inflationnistes, de 52,6 % en 1946 à 11,9 % en 1952, ce qui ne correspond pas au début d’un cycle de Kondratieff. Il s’agit par contre tout à fait d’inflations de périodes de guerre, donc correspondant à la Seconde Guerre mondiale et au cycle n° 3.
La première année de faible inflation est l’année 1953 où celle-ci a été négative : – 1,7 %. Je proposerai donc de retenir cette date comme début du cycle n° 4, lequel s’est terminé en 2012, soit une durée de cinquante-neuf ans. La fin de ce cycle est provoquée par l’arrivée de la technologie de rupture qu’est l’intelligence artificielle, avec notamment le deep learning.
4.3. Tableau récapitulatif des cinq cycles de Kondratieff
Technologie de rupture | Durée | Sommet | |
Cycle 1 (1890 -1843) | Machine à Vapeur | 53 ans | 1817 |
Cycle 2 (1843 -1895) | Chemin de fer | 47 ans | 1874 |
Cycle 3 (1895 -1953) | Electricité | 58 ans | 1918 |
Cycle 4 (1953 -2012) | N.T.I.C. | 59 ans | 1982 |
Cycle 5 (2012 -2070) | Intelligence artificielle | 58 ans | 2040 |
II — JOSEPH SCHUMPETER – LA DESTRUCTION CRÉATRICE
Schumpeter considère la destruction créatrice comme « la donnée fondamentale du capitalisme ». Il en évoque la puissance et la rapidité par la célèbre métaphore de « l’ouragan perpétuel de la destruction créatrice », lequel touche toutes les entreprises. On trouvera ci-après des extraits de la « Théorie de la destruction créatrice » dans lesquels Schumpeter définit ce phénomène économique inhérent, selon lui, à toute révolution industrielle.
1. Définition et caractéristiques générales de la destruction créatrice
Les possibilités technologiques peuvent être comparées à une mer dont la carte n’a pas été dressée
L’impulsion fondamentale qui met et maintient en mouvement la machine capitaliste est imprimée par les nouveaux objets de consommation, les nouvelles méthodes de production et de transport, les nouveaux marchés, les nouveaux types d’organisation industrielle — tous éléments créés par l’industrie capitaliste
Elle révolutionne incessamment de l’intérieur la structure économique en détruisant continuellement les éléments vieillis et en créant continuellement des éléments neufs.
Ce processus de destruction créatrice constitue la donnée fondamentale du capitalisme, et toute entreprise capitaliste doit, bon gré mal gré, s’y adapter.
2. Incidence de la destruction créatrice sur les « vieilles affaires » et sur les prix
Les branches établies de longue date et les vieilles affaires, qu’elles soient ou non directement attaquées, n’en sont pas moins constamment plongées dans l’ouragan perpétuel. Le processus de destruction créatrice engendre des situations où beaucoup de firmes risquent de succomber.
Nous constatons pratiquement dans tous les cas qu’à long terme les prix ne manquent jamais de s’adapter au progrès technologique — en y réagissant fréquemment par des baisses spectaculaires.
Ce n’est pas l’objet de cet article de dresser une liste des activités économiques dans lesquelles la destruction créatrice est à l’œuvre. En voici quelques exemples : vaccins anti-Covid ARN messager, automobile électrique, fusées SpaceX d’Elon Musk, monnaies numériques, taxis Huber. Dans tous ces cas ce phénomène s’effectue, à l’évidence, au détriment des entreprises existantes. Les nouveaux vaccins ont distancé, irrémédiablement ? SANOFI. Les fusées réutilisables de SPACE X, donc moins chères, ont déjà conduit ARIANESPACE à une restructuration et à une réduction de ses effectifs.
III — SARKAR – LES CYCLES SOCIAUX
Kondratieff est mort en 1938. La psychologie et la sociologie n’avaient alors pas du tout la place que celles-ci ont prise depuis, avec le marketing, dans l’économie. La théorie des cycles sociaux est un complément très éclairant, voire indispensable, de l’approche purement économique de Kondratieff, de Schumpeter ainsi que des praticiens actuels des cycles longs uniquement centrés sur l’économie. Elle constitue notamment une bonne explication des mouvements populistes actuels dans de nombreux pays, dont les Gilets Jaunes en France, et de l’orientation de certains pays vers des régimes autoritaires, parfois appelées démocratures.
La théorie des cycles sociaux a été élaborée par un philosophe indien Prabhat Ranjan Sarkar, mort en 1990. Elle a été reprise par un économiste américain, Ravi Batra, auteur de nombreux best-sellers dont « La grande crise de 1990 ».
Selon Sarkar une société évolue toujours dans le temps selon quatre ères distinctes lesquelles correspondent à quatre catégories de population : les guerriers, les intellectuels, les propriétaires et les travailleurs. L’édition en anglais de Wikipédia est intitulée « The Law of social cycle ». J’emprunte à Ravi Batra (photo ci-contre) la description partielle des quatre catégories ci-dessus :
1. L’ère des travailleurs. Le chaos général
« L’ère des travailleurs se caractérise par une quasi-anarchie, une absence d’ordre social… la moralité a presque disparu, les hors-la-loi foisonnent et l’esprit matérialiste imprègne la société jusqu’à la moelle… Cette société n’a guère de chances de parvenir à s’extirper du gouffre de l’ignorance et de l’état sauvage ». C’est pourquoi elle laisse la place à une autre catégorie, en général celle des guerriers ».
2. L’ère des guerriers. La remise en ordre
« L’armée, conduite par le dictateur (roi, empereur, président) dirige le gouvernement ainsi que la société. Centralisée, l’autorité publique prend la forme d’un pouvoir absolu. La population est extrêmement disciplinée… Intellectuels et propriétaires inspirent un certain respect, mais n’ont pas leur mot à dire dans la conduite des affaires d’État ».
3. L’ère des intellectuels. L’organisation de la société
« Aucun peuple ne peut tolérer très longtemps un pouvoir imposé par le fer et par le feu. Conscients de ce fait les dictateurs ressentirent bientôt le besoin de justifier leur autocratie. Ils se tournèrent alors vers les intellectuels, qui leu apportèrent un précieux appui en élaborant d’habiles théories légitimant l’autorité absolue des dirigeants sur leurs peuples. Ainsi naquirent des concepts tels que l’infaillibilité des rois ou la monarchie de droit divin ».
4. L’ère des propriétaires. Le règne de l’argent roi et de la corruption
« Aucun système irrationnel ou illogique ne peut subsister éternellement. La toile tissée par les intellectuels autour des autres classes commença bientôt à se relâcher et le peuple comprit peu à peu qu’on le manipulait. … Ainsi naquit une nouvelle classe totalement obsédée par l’argent : celle des propriétaires…
À mesure que le temps passe, les riches accumulent des fortunes de plus en plus considérables. L’ère des propriétaires évolue graduellement vers l’anarchie qui caractérise l’ère des travailleurs.
Les choses se dégradent à tel point qu’intellectuels et guerriers, mécontents, en arrivent finalement à se rebeller. Avec l’aide des travailleurs, ils vont mettre fin au règne des propriétaires. Peu à peu les guerriers insurgés prendront le dessus et la civilisation repartira dans l’engrenage des cycles sociaux ».
5. La situation des États-Unis en 1985 : le sommet de l’ère des propriétaires
Dans la « Grande crise de 1990 » publié aux États-Unis en 1985, Ravi Batra, après avoir décrit les cycles sociaux ci-dessus, concluait :
« Or, les Américains traversent actuellement une ère de propriétaires/travailleurs marquée par un haut degré de criminalité, un matérialisme exacerbé, une moralité généralement faible et individualisme excessif. Nous pouvons donc en déduire que l’ensemble du monde occidental se trouve actuellement dans cette ère ».
6. Le cycle social mondial en 2021 : de la fin de l’ère des propriétaires vers l’ère des travailleurs puis des guerriers ?
Trente-cinq ans après la publication de son ouvrage par Ravi Batra, on ne peut qu’être frappé par la justesse de son analyse, notamment par le résumé qui en est donné dans les paragraphes 4 et et 5 ci-dessus.
Quelques exemples d’actualité :
- Le mouvement des gilets jaunes en France avec le refus total de l’autorité
- La présidence de Donald Trump et l’assaut du Capitole par ses électeurs
- La négation des résultats de l’élection présidentielle américaine
- Le fleurissement des « démocratures »
- La concentration historique des richesses
- L’absence élémentaire d’éthique des Gafam avec l’utilisation non rémunérée des data de leurs utilisateurs et l’optimisation fiscale dans les paradis fiscaux
- Le poids du lobby des armes aux États-Unis et la multiplication des serials killers qui en résulte
- En France, le scandale des abus sexuels dans l’une des principales institutions censée être un modèle
- L’abandon des pays pauvres par les pays développés en matière de vaccination anti-Covid
- La faiblesse des moyens engagés pour lutter contre le réchauffement climatique
- Le foisonnement des fake news et des messages de haine sur les réseaux sociaux
Il y a là manifestement, me semble-t-il, une synchronisation entre le cycle social et le cycle de Kondratieff. Nous avons vu que le passage d’un cycle à l’autre et d’une révolution industrielle à l’autre s’effectue sous la pression d’une multitude de facteurs économiques, financiers, sociétaux pour n’en citer que quelques-uns, facteurs qui sont bien présents.
IV — LARS TVEDE – LES CYCLES FINANCIERS
Lars Tvede est l’un des rares spécialistes reconnus des marchés financiers qui se soient intéressés à la « psychologie des marchés financiers ». Il est l’auteur de plusieurs ouvrages dont un best-seller porte précisément ce nom. Son éditeur le présente comme suit :
« La psychologie des marchés financiers » présente une vision unique d’un marché dont les mécanismes sous-jacents ne sont pas explicables par les seuls outils d’analyse traditionnelle. Pour l’auteur, comprendre de façon plus approfondie la psychologie de l’individu est un élément tout aussi essentiel. C’est le lien crucial entre le comportement du marché et la psychologie que ce livre s’attache à mettre en lumière.
L’auteur consacre une section de son livre aux différents cycles des marchés financiers : cycle de Kitchin (court terme), cycle de Juglar (moyen terme) et cycle de Kondratieff (long terme). Il indique que ceux-ci se superposent mutuellement, le cycle de Kondratieff recouvrant les deux précédents, ce que Kondratieff avait déjà lui-même constaté.
Voici ce que dit Lars Tvede du cycle de Kondratieff :
« Les évènements survenus sur les marchés financiers et dans l’ensemble de l’économie depuis la rédaction de ces articles correspondent relativement bien au modèle. La théorie est donc toujours intéressante pour les investissements ».
1. La rotation chronologique de long terme des marchés financiers
Lars Tvede a notamment mis en évidence un phénomène très important bien connu des investisseurs : la rotation chronologique des marchés financiers, soit successivement : les obligations courtes, les obligations longues, les actions, les matières premières et les métaux précieux.
On constate, par exemple, qu’actuellement l’indice Nasdaq des valeurs technologiques est en hausse depuis plus de près de douze années alors même que le marché des matières premières qui baissait depuis près de douze années ans rebondit fortement avec la reprise de l’activité économique en 2021. (cf graphiques en fin du § 7.3.)
On notera par ailleurs que l’indice CRB des matières premières et l’indice des frets Baltic dry index sont deux indices avancés très significatifs des renversements de tendance de long terme, soit à la hausse, soit à la baisse. Le fait que ces deux indices soient tous deux en forte hausse depuis 2020 constitue l’une des confirmations du passage du quatrième cycle (1953-2012) au cinquième (2012-2070).
2. Les renversements de tendance de long terme
Le chassé-croisé ci-dessus de deux classes d’actifs fondamentaux correspondant à des conjonctures économiques inverses est typique d’une inversion de tendance, à la hausse, du cycle de Kondratieff.
Un autre spécialiste de la psychologie des marchés financiers, Michael Mangot, auteur de « Psychologie de l’investisseur et des marchés financiers » affirme, statistiques et études à l’appui, que :
« 90 % des rendements d’un investisseur proviennent de sa macrostratégie d’allocations d’actifs à long terme »
On peut constater ainsi que les marchés d’actions sont en général en hausse depuis plus de dix ans, notamment ceux qui, comme le Nasdaq, concernent les nouvelles technologies.
V — WALTER SCHEIDEL — INÉGALITÉS & CYCLES. LES 4 CAVALIERS DE L’APOCALYPSE
Dans les ouvrages traitant de l’origine des grandes crises économiques on trouve le plus souvent deux grandes thèses. La plus fréquente attribue celles-ci à la croissance excessive des inégalités, ce qui est le cas de Sarkar et de Thomas Piketty. En revanche Walter Scheidel, auteur de « Une histoire des inégalités, de l’âge de pierre au XXIe siècle » ne constate pas de relation de cause à effet entre les unes et les autres
1. Walter Scheidel : les inégalités accompagnent les crises, mais n’en sont pas la cause
WALTER SHEIDEL, n’est pas directement un spécialiste des cycles économiques et sociaux de long terme, mais il l’est indirectement par le sujet qu’il traite dans cet ouvrage.
Dans l’excellente préface que Louis Chauvel lui a consacrée, celui-ci en rappelle l’objet :
Scheidel nous rappelle comment les sociétés ont été régulièrement visitées par les Quatre Cavaliers de l’Apocalypse que sont la révolution sanglante, la guerre totale, le collapsus de l’État ou la pandémie meurtrière.
Mais « tout en mettant en évidence les risques d’effondrement civilisationnel que l’inégalité peut susciter »… l’auteur s’éloigne de toute idée déterministe d’une théorie de l’histoire rigide et abusivement théorisée selon laquelle l’inégalité produirait mécaniquement la guerre, la révolution, la faillite de l’état, la pandémie.
Par ailleurs, selon Walter Scheidel
« Les quatre cavaliers de l’Apocalypse ont quitté leur monture » : « la guerre de masse appartient au passé », « la révolution transformatrice est devenue encore plus archaïque que la guerre totale », « la faillite des états et l’effondrement des systèmes sont également devenus extrêmement rares » et enfin, « il faudrait qu’une épidémie fasse des centaines de millions de morts à travers le monde pour approcher, en termes d’échelle, les grandes pandémies prémodernes ».
À noter en ce qui concerne le dernier point que l’édition américaine de l’ouvrage de Walter Scheidel a été publiée en 2017, donc bien avant la pandémie de la Covid 19 et que celle-ci est toujours aujourd’hui, fort heureusement, loin d’atteindre les niveaux des « grandes pandémies prémodernes », sans doute grâce aux nouveaux vaccins, eux-mêmes issus de l’I.A.
2. Thomas Piketty : les inégalités sont la cause des crises
Selon Thomas Piketty :
Il ne fait aucun doute que la hausse des inégalités a contribué à fragiliser le système financier américain. Pour une raison simple : la hausse des inégalités a eu pour conséquence une stagnation du pouvoir d’achat des classes populaires et moyennes aux États-Unis, ce qui n’a pu qu’accroitre la tendance à un endettement croissant des ménages modestes, d’autant plus que dans le même temps des crédits de plus en plus faciles et dérégulés leur étaient proposés pas des banques et des intermédiaires financiers peu scrupuleux.
Il semble que les tenants de l’orthodoxie économique et financière penchent plutôt vers la thèse de Thomas Piketty. Les principales crises financières semblent dues, comme celle de 2008, à des accidents de crédit, eux-mêmes générés à l’origine par les politiques laxistes des banques centrales en matière de masse monétaire et de taux d’intérêt.
VI — DAVID KNOX BARKER & MARKET CYCLE DYNAMICS
1. L’analyse technique du cycle de Kondratieff. Résultats et limites
Market Cycle Dynamics est une lettre d’information mensuelle publiée par l’économiste David Knox Barker, lettre dans laquelle celui-ci analyse l’évolution mensuelle du cycle de Kondratiev depuis 33 ans, ainsi que les cycles de court terme, ce qui, à ma connaissance, il est le seul à faire.
D.K.B. utilise pour élaborer ses prévisions une méthode mathématique ancienne complexe, celle de Fibonacci. C’est un indicateur parmi d’autres et il faut le compléter avec d’autres sources. D.K.B. fait démarrer trop tôt, à mon avis, le cycle n° 4, c’est-à-dire en 1949, au lieu de 1953, et le fait terminer trop tard, en 2020 au lieu de 2012, en ne tenant pas compte de la cinquième révolution technologique et de la rupture technologique majeure du « deep learning ».
Ceci démontre, s’il en était besoin, que l’analyse purement arithmétique n’est pas suffisante dans la détermination des cycles de Kondratieff. Ce qui prime, ce sont les faits.
2. Trois merveilles de synthèse
D.K.B. procède non seulement à l’analyse générale du cycle de Kondratieff mais aussi, en utilisant la même méthode, à celle des différentes classes d’actifs ce qui lui permet d’avoir une vision globale de l’évolution économique. A trois reprises il a parfaitement résumé, de manière très concise, cette évolution, en ce que j’appelle des merveilles de synthèse.
2.1. 2021 n’est pas 1929, mais 1949
La première synthèse est que « 2021 n’est pas 1929, mais 1949 » signifiant que nous ne sommes pas à la veille d’une grande crise style 1929, mais au début du printemps du 5e cycle.
Les tenants d’une crise de style 1929 qui éclaterait aujourd’hui ne tiennent sans doute pas compte de ce que cette crise s’est produite au début de la phase descendante du 3e cycle (1895-1953), dans la foulée de son sommet de 1918 constitué par la fin de la guerre.
Selon Kondratieff, c’est lors du sommet des cycles que les tensions de tous ordres entre les pays, notamment économiques, mais aussi géopolitiques, atteignent leur maximum. Or, nous nous trouvons aujourd’hui en début de cycle (2012/2070), c’est-à-dire dans une phase de moindre tension. Assimiler la période de 1929 à la période actuelle semble donc tout à fait inapproprié.
2.2. La lutte de Titans entre déflation et inflation est toujours en cours
La deuxième synthèse concerne la lutte de Titans entre les forces déflationnistes et inflationnistes, qui a marqué toute la fin du quatrième cycle pendant, au moins une dizaine d’années, c’est-à-dire à partir du premier krach, celui de l’internet en 2000 jusqu’à celui des subprimes en 2008 et au-delà.
« Ce à quoi nous sommes confrontés en cette fin d’hiver de Kondratiev c’est à des forces d’une puissance inimaginable entre l’inflation et la déflation »
On constate que pendant toute cette période, les banques centrales ne sont pas parvenues à relancer l’inflation malgré une politique de liquidités illimitées et de taux d’intérêt artificiellement faibles, y compris négatifs.
Avec le passage du quatrième cycle au cinquième on observe aujourd’hui une nette reprise de l’inflation notamment en ce qui concerne les matières premières tant industrielles qu’agricoles ainsi que, plus faiblement, les salaires.
Il y a sans doute dans cette reprise de l’inflation un effet de rattrapage dû à la pénurie de matières premières, de produits et de main-d’œuvre qui résulte elle-même du ralentissement ou de l’arrêt de la production pendant la pandémie. Mais il faut sans doute aussi tenir compte de ce que le passage d’un cycle à un autre est, par nature, nécessairement inflationniste, faiblement au début puis en s’accélérant ensuite du fait de l’accélération de la croissance.
2.3. Deux indicateurs phares : les indices des matières premières et des frets
D.K.B. considère que les indices CRB des matières premières et Baltic Dry Index des frets sont des indicateurs avancés de la santé globale de l’économie, ce qui est vérifié par l’expérience. Le graphique qui figure plus loin montre que que le premier a baissé de 2008 à 2020 pendant la phase descendante du 4e cycle pour repartir à la hausse après le krach de mars 2020. Il en est de même pour le second.
VII — LES AGENCES DE RENSEIGNEMENTS FINANCIERS
En ce qui concerne la collecte et le traitement de l’information économique et financière, l’une des principales différences entre l’époque à laquelle vivait Kondratieff et l’époque actuelle est, à l’évidence, l’existence de l’informatique, de l’internet, des bases de données et des moteurs de recherche.
1. Une mine d’or : les séries statistiques longues
Les agences d’information et de renseignements financiers telles que REUTERS ou BLOOMBERG, pour ne citer que les principales, ne se présentent certes pas comme des spécialistes des cycles économiques de long terme, mais elles détiennent sur les marchés financiers et sur les différentes classes d’actifs des séries statistiques longues, de plusieurs dizaines d’années, et des outils, notamment graphiques, qui permettent de bien mettre en évidence des éléments clés de ces cycles, tels que les retournement de tendance de long terme.
2. La puissance des logiciels d’analyse des marchés financiers
Compte tenu de leur prix très élevé, les abonnements à ces agences sont réservés aux professionnels. Mais les particuliers ont accès à des outils moins sophistiqués et moins couteux, lesquels sont largement suffisants pour des analyses de long terme.
Ainsi les graphiques de long terme qui illustrent cet article en ce qui concerne les taux d’intérêt, les matières premières et le Nasdaq, sont extraits du logiciel Waldata.
Je dispose chaque jour avec ce logiciel des principales informations concernant les trois principaux marchés : Europe, États-Unis et Asie ainsi que les six principales classes d’actifs : Taux d’intérêt, matières premières, actions, marchés obligataires, monnaies, métaux précieux.
3. Un phénomène essentiel peu connu : les changements de tendance de long terme s’effectuent à date déterminée
Par rapport à l’époque de Kondratieff, il est clair que l’intérêt essentiel de disposer de ces informations quotidiennes est de permettre de suivre pas à pas, en grandeur réelle, l’évolution des tendances de long terme et, de ce fait, de repérer très précisément les changements de tendance.
Pour les professionnels des marchés financiers, l’expression « en grandeur réelle » signifie que ceux-ci peuvent connaitre les fluctuations des indices, des marchés et des valeurs, à la fraction de seconde près, ce qui est indispensable en matière de trading.
En matière d’analyse de tendances de long terme, cette précision est tout à fait inutile, et la fréquence quotidienne est largement suffisante. Cette dernière permet de constater un phénomène peu connu : les tendances de long terme s’inversent à date déterminée.
Les graphiques ci-dessous montrent, par exemple, que l’indice Nasdaq composite des valeurs technologiques s’est inversé à la hausse le 10/03/2009 à 1268,64 pts pour atteindre 14.486,20 pts le lundi 11/10/2021. L’indice CRB des matières premières s’est inversé à la baisse le 2/07/2008 à 473,52 pts pour ne revenir à la hausse que près de douze années plus tard le 1/04/20 à 125,79 pts. De même toutes les valeurs connaissent, sur une longue période, un point haut et un point bas à date précise.
Les prévisions en matière d’inversion de tendance des cycles de long terme peuvent donc être beaucoup plus précises qu’à l’époque de Kondratieff. On a vu que ce dernier tenait compte d’une possibilité d’écart de 5 à 7 ans.
Les graphiques ci-dessous démontrent par ailleurs, parallèlement à l’existence des cycles de long terme de Kondratieff, celle de cycles de moyen terme, d’une dizaine d’années. On peut ainsi constater que le Nasdaq est en hausse continue depuis mars 2009 c’est-à-dire depuis près de douze années tandis que l’indice CRB des matières premières a été en baisse de 2008 à 2020 soit également pendant la même durée.
L’indice CRB des matières premières constitue, avec celui des frets, le Baltic Dry Index, un excellent indicateur avancé de la croissance ou de la décroissance de l’économie. Le graphique ci-dessus montre que le CRB a fait un plus haut le 2/07/2008 à 473,52 pts pour ne revenir à la hausse que près de douze années plus tard le 1/04/20 à 125,79 pts, soit une baisse de 347,73 pts et de 73,4%. On constate que cet indice, comme les autres, a changé de tendance de moyen terme à des dates précises.
Cette baisse se situe en majeure partie à la fin de la phase descendante du quatrième cycle de Kondratieff (1953-2012) mais s’est poursuivie au début du cinquième cycle (2012-2070) sans doute parce que seuls les symptômes de la crise de 2008, et non les causes, ont été traitées, par la politique des banques centrales.
Le 11/10/2021, soit un peu plus de vingt mois après son plus bas d’avril 2020, le CRB se situait à 251,21 pts soit une hausse de 125, 42 pts et du double par rapport à son plus bas d’avril 2020. On relève les mêmes fortes progressions en ce qui concerne les indices de matières premières spécifiques telles que le pétrole, le cuivre, l’aluminium. Il en est de même du Baltic Dry Index.
L’indice Nasdaq composite des valeurs technologiques s’est inversé à la hausse le 10/03/2009 à 1268,64 pts pour atteindre 14.486,20 pts le 11/10/2021, soit une hausse de 13.217, 56 pts en douze années et de 1.101, 46 pts par an. Cette hausse moyenne de près de 87 % par an par rapport au cours initial sur une longue période constitue sans doute, de mémoire d’investisseur, un phénomène rarissime, voire du jamais vu.
On remarque par ailleurs d’une part que cette hausse s’est effectuée dans un couloir haussier très étroit, c’est à dire de manière quasi rectiligne, avec très peu de périodes de baisse (marquées par les « bougies noires »), et d’autre part la forte accélération (chandelle) à partir du 30/03/2020, c’est à dire dès après le krach qui s’est produit le même mois. Ce sont tous là les signes d’une conviction exceptionnelle des investisseurs sur le potentiel à moyen/long terme de ce marché.
L’excellente santé des valeurs technologiques, comme celle des autres marchés d’actions U.S., constitue sans doute, avec la destruction créatrice qui en est le corolaire, l’un des principaux indices du passage dans la cinquième révolution technologique.
L’année du début de la hausse du Nasdaq, 2009, est très proche de 2012, celle de la reconnaissance de l’I.A. comme » rupture technologique majeure« , sachant qu’avant cette date « officielle » les travaux qui conduisaient à cette technologie étaient déjà très avancés et sans doute bien connus des initiés.
VIII – KAI-FU LEE – LA REVOLUTION DE L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE
1. Un ouvrage de référence : « La plus grande mutation de l’histoire »
Nous avons vu dans l’introduction que Kai-Fu Lee est l’auteur d’un best-seller : LA PLUS GRANDE MUTATION DE L’HISTOIRE publié en France en mai 2021, et qu’il est considéré comme « l’un des experts mondiaux les plus reconnus en intelligence artificielle ». On peut considérer ce besst seller comme un ouvrage de référence.
Kai-Fu Lee est l’un des rares spécialistes du numérique dans sa globalité tant par sa formation que par son parcours professionnel. Après des études d’ingénieur informatique aux Etats-Unis dans la meilleure université de la spécialité, il a occupé des postes clés chez Microsoft, SGI., Apple et Google China, avant de créer en 2009 ses propres entreprises. Il est président de Sinovation Ventures, société de capital-risque et du Sinovation Ventures Artificial, Intelligence Institute.
C’est sans doute cette vision très générale du numérique et de ses applications qui lui a permis de comprendre que l’intelligence artificielle constitue une nouvelle révolution technologique et sociétale, comme l’illustre bien le titre de son livre.
Par l’ampleur et la rigueur de sa réflexion, Kai-Fu Lee se situe tout à fait, à mon avis, dans le droit fil des travaux de Kondratieff et de Schumpeter. On pourrait même dire qu’il en est, dans une certaine mesure et bien qu’il n’y fasse pas référence, le continuateur au XXIe siècle.
Voici ce que dit de lui un autre grand auteur, Yuval Noah Harari dans The Guardian :
Une étude brillante de l’impact de l’intelligence artificielle sur l’équilibre géopolitique, le marché du travail, et les rapports humains.
2. La « rupture technologique majeure » : le deep learning
Kai-Fu Lee consacre une dizaine de pages, très claires, de son ouvrage à « Une brêve histoire du deep learning », sachant qu’il considère ce dernier comme une « rupture technologique majeure ». En voici quelques extraits :
Les grandes avancées théoriques aboutissent enfin à des mises en pratique concrètes
L’intelligence artificielle fait déjà fonctionner la plupart de nos applications et sites préférés
L’apprentissage profond fait partie d’un champ plus large que l’on désigne par le générique d’« apprentissage automatique » (machine learning). Cette technologie a changé le cours de l’histoire
En 2005, le deep learning était né, marquant une rupture technologique majeure
Le véritable tournant se produisit en 2012 quand un réseau de neurones construit par l’équipe de Hinton écrasa tous ses concurrents lors d’un concours international de vision par ordinateur
L’effervescence gagna peu à peu les scientifiques, les futurologues et les PDG d’entreprises high-tech, galvanisés par le formidable potentiel qu’offrait ce nouveau secteur
Le deep learning correspond à ce qu’on appelle l’intelligence artificielle étroite
Voici pourquoi le deep learning suscite un tel enthousiasme : sa force fondamentale – cette aptitude à reconnaitre une forme, à entreprendre une action optimale en vue d’un résultat spécifique, à prendre une décision – peut s’appliquer à d’innombrables problèmes de la vie quotidienne.
L’heure est enfin arrivée où des décennies de recherches prometteuses vont pouvoir se traduire en applications concrètes…Nous sommes entrés dans l’ère de l’I.A. appliquée
IIe PARTIE — LE RAPPORT DE LA C.I.A. « LE MONDE EN 2040 » & LA 5e REVOLUTION TECHNOLOGIQUE
L’analyse des cycles économiques et sociaux de long terme à laquelle je viens de procéder dans la première partie tendrait à démontrer que nous sommes entrés, depuis 2012 dans un nouveau cycle de Kondratieff, le cinquième et corrélativement dans la cinquième révolution technologique : celle de l’intelligence artificielle.
Mais que nous réserve, concrètement, la phase ascendante de cette révolution notamment sur le plan économique et sur celui, qui lui est étroitement corrélé, des nouvelles technologies ?
Le rapport de la C.I.A., publié fin avril 2021 sous le titre « Le Monde en 2040 » s’avère comme une mine d’information en la matière mais sa publication a été un échec médiatique. Le risque est d’associer à cet échec une carence du contenu et de jeter ainsi le bébé avec l’eau du bain. Ce serait fort dommage car il s’agit sans doute actuellement du document le plus synthétique et le plus accessible sur ce sujet.
C’est pourquoi il m’a semblé indispensable, avant de procéder à l’intégration du contenu de ce rapport dans le cinquième cycle de Kondratieff (2012/2070, de faire l’analyse de cet échec.
I — UN ECHEC MÉDIATIQUE
Alors que le monde est en pleine période de profondes mutations économiques, financières et sociétales et en pleine pandémie, l’ouvrage de la C.I.A. correspond par son auteur, son titre et sa promesse « Le rapport tant attendu sur le monde d’après » aux questionnements d’un très large public. On pouvait donc s’attendre à ce que sa publication soit un évènement médiatique important, suscite des articles dans la presse et des débats dans les médias, voire une réflexion au niveau politique.
Rien de tout cela ne s’est produit ! Ce rapport a été publié fin avril 2021 et depuis, hormis une large annonce de sa parution les premiers jours, c’est le silence médiatique quasi total, sauf en ce qui concerne les commentaires relativement peu nombreux et parfois assassins, dans certains sites de vente en ligne. Le principal fait même état, très inexactement, d’un « vide total ».
On peut donc parler à juste titre d’un échec et même d’un cas d’école en la matière. Comme souvent, celui-ci a plusieurs causes.
1. Une méthode d’analyse inadaptée au public de l’ouvrage : l’étude prospective
Dans l’introduction, j’indiquais que le rapport de la C.I.A. perdait une grande partie de son caractère prédictif en raison de l’utilisation de la méthode prospective c’est-à-dire de la formulation des informations comme de simples énumérations non structurées. D’où un manque essentiel de clarté. L’avis d’un internaute sur un site de vente en ligne très connu résume bien la critique :
Un plan confus, des titres de chapitres hétérogènes, un discours qui se veut général et qui perd en clarté faute d’exemples précis.
Dans l’avant-propos la C.I.A. précise bien que :
Ce rapport est conçu pour fournir un cadre analytique aux décideurs politiques… L’objectif n’est pas d’offrir une prédiction spécifique du monde en 2040
Dans ce type d’analyse, les principaux thèmes sont mis sur le même plan, sans hiérarchie et sans prévision de probabilité. Le public s’attendait sans doute à des prévisions en bonne et due forme, de style institut de conjoncture voire futurologue. D’où sa déception.
2. Le rapport ne consacre que moins de 15 % de son contenu à l’économie et aux nouvelles technologies
Quatre sujets essentiels, que la C.I.A. qualifie de « forces structurelles », sont traités simultanément en un peu plus de 250 pages : la démographie, l’environnement, l’économie et la technologie. Or chacun de ces quatre sujets nécessiterait à lui seul un rapport entier.
Par ailleurs, la C.I.A. ne consacre que 14 % de l’ouvrage, soit 36 pages, à l’essentiel, c’est-à-dire aux deux sujets qui intéressent en priorité le public : l’économie et les nouvelles technologies.
Enfin le rapport affecte une de ses quatre parties à l’environnement, alors que le rapport du GIEC, qu’elle ne cite qu’une seule fois et qui a fait autorité en la matière, est paru en août 2021 soit quelques mois après.
3. Révolution industrielle ? Cycle économique ? Destruction créatrice ? Connait pas !
En se privant de la méthodologie de la prévision, la C.I.A. en ignore les méthodes et les concepts alors même que ceux-ci sont en général bien connus des lecteurs informés qui s’intéressent à ce type d’ouvrage.
Ainsi l’expression « révolution industrielle » n’est-elle utilisée qu’une seule fois et de manière incidente. Corrélativement aucune mention n’est faite des concepts de « cycle économique » ni de « destruction créatrice », sachant que Schumpeter considère cette dernière, on l’a vu, comme « la donnée fondamentale du capitalisme ».
Aussi n’est-il pas surprenant que les lecteurs, professionnels ou particuliers, en l’absence de références méthodologiques connues, se soient désintéressés de ce rapport.
4. Le rapport ignore la cinquième révolution industrielle.
Tout en faisant état dans son rapport de la « généralisation de l’intelligence artificielle » comme l’un des éléments principaux des nouvelles technologies, la CIA en ignore la spécificité en tant que « rupture technologique majeure » et donc en tant qu’élément fondateur de la cinquième révolution technologique.
5. Un pessimisme général qui ne reflète pas le potentiel de la cinquième révolution industrielle
Enfin, l’adoption de la méthode prospective a conduit la C.I.A. à mettre sur le même plan les forces et les faiblesses des sujets qu’elle examine, en insistant plutôt sur les secondes, notamment dans les titres de certaines parties. Si bien qu’il se dégage de son rapport une vision assez pessimiste du monde futur, vision qui ne reflète pas le potentiel de la cinquième révolution industrielle et qui est de nature à décevoir un public souvent inquiet. Voici, par exemple, les titres des trois sections qui concernent les trois « dynamiques émergentes » analysées dans le rapport :
Société : désillusionnée, informée et divisée
L’État : tensions, turbulences, et transformations
International : contestations, incertitudes et conflits
II — LE RAPPORT DE LA C.I.A. AU CRIBLE DU 5e CYCLE DE KONDRATIEFF
Pour remédier au déficit prédictif du rapport de la C.I.A. j’ai procédé à une sélection des principales informations que celui-ci contient, notamment celles concernant les nouvelles technologies et je les ai insérées dans le cadre, par définition prédictif, du cycle de Kondratieff, archétype des cycles économiques de long terme s’il en est.
Pour réaliser cette sélection, j’ai suivi l’ordre établi par la C.I.A. dans son rapport, c’est-à-dire « les quatre forces structurelles » : la population, l’environnement, l’économie et la technologie. Mais, à la différence de la C.I.A., je suis passé très rapidement sur la population et l’environnement, et j’ai privilégié l’économie et la technologie, cette dernière constituant la clé de la cinquième révolution technologique.
Je tiens cependant à préciser que l’une des principales qualités du rapport de la C.I.A. est, à mon avis, d’avoir non seulement identifié et synthétisé ces quatre forces structurelles qui devraient régir le monde dans les prochaines décennies, mais aussi d’en avoir examiné les interactions éventuelles
J’ai par ailleurs passé complétement sous silence les « trois dynamiques émergentes » qui constituent sans doute la partie la plus originale du rapport de la C.I.A., mais qui compte tenu de sa richesse même et de son caractère aléatoire est difficilement synthétisable. Celles-ci portent sur la société, l’état et l’international
Enfin, du fait même du format restreint de l’ouvrage et de l’utilisation de la méthode prospective, il ne faut pas chercher dans le rapport de la C.I.A. un approfondissement des principaux sujets traités, mais plutôt, sauf quelques exceptions, je l’ai déjà dit, une simple énumération. Je ne complèterai pas cette énumération, sauf sur certains points essentiels, comme l’intelligence artificielle et la généralisation du numérique, et lorsque je le ferai je le ferai de manière limitée.
Les principaux sujets que j’ai sélectionnés dans le rapport de la C.I.A. figurent dans la partie droite, en vert, de la Mind Map qui illustre cet article. Cette partie porte sur la cinquième révolution technologique, celle de l’I.A. J’ai, par ailleurs, repris les titres des divisions de cette Mind Map dans le plan de cet article.
Dans la partie gauche, en bleu, j’ai mentionné, pour mémoire, les cinq révolutions technologiques. À chacune d’elles correspond un cycle de Kondratieff. Les dates de début et de fin de ces cycles sont arrondies. L’important, à mon avis, est plus d’avoir conscience de la réalité de ces cycles que d’avoir la connaissance précise de leurs dates, lesquelles figurent dans le tableau récapitulatif situé à la fin de la Ière partie.
1. Population : plus 1,4 milliard d’habitants. Classe moyenne : 36 %
D’ici 2040 la population mondiale devrait croitre d’environ 1,4 milliard d’habitants, passant de 7 milliards actuellement à 8,4.. La C.I.A. prévoit les quatre tendances principales suivantes :
- L’accroissement devrait s’effectuer principalement dans les pays en voie de développement
- Il devrait principalement se produire dans les mégapoles
- La principale zone migratoire serait l’Afrique sub-saharienne et par conséquent la principale zone de migration serait l’Europe
- La classe moyenne, qui représentait déjà 36 % de la population mondiale en 2020 devrait encore s’accroitre.
2. Environnement. Le double emploi nécessaire avec le rapport du GIEC .
Le rapport du GIEC sur le climat, que celui de la C.I.A. ne mentionne qu’une seule fois, sans commentaire, est paru en août 2021 soit seulement quatre mois après celui de l’agence. De prime abord, on peut se demander, s’il était bien nécessaire que celle-ci consacre une partie de ce rapport à ce sujet, compte tenu de ce que celui du GIEC fait autorité en la matière et par ailleurs de la place insuffisante accordée par l’agence à l’économie et aux nouvelles technologies.
Mais l’environnement faisant partie, à juste titre, des « quatre forces structurelles » étudiées par la C.I.A., cette dernière ne pouvait s’en dispenser. Par ailleurs les dérèglements climatiques observés de par le monde au cours de l’été 2021, inondations et incendies entre autres, ont rappelé, s’il en était besoin la gravité du sujet, sur lequel porte d’ailleurs, l’un des quatre scénarios, pessimiste, que formule la C.I.A. en conclusion de son rapport.
3. Les trois moteurs de la 5e révolution technologique
Ces trois moteurs, qui ne sont pas présentés comme tels dans le rapport puisque la C.I.A. ne reconnait pas cette révolution, sont les suivants : la généralisation de l’intelligence artificielle, la généralisation du numérique et le développement des biotechnologies.
3.1. Le premier moteur : « La généralisation de l’intelligence artificielle »
Les critères qui définissent un cycle de Kondratieff et une révolution industrielle sont nombreux. J’en ai énuméré certains dans la première partie. J’en ajouterai un, qui me semble bien résumer l’essentiel : celui de « technologie de rupture » par opposition à celui de « technologie de continuité ».
3.1.1. Une technologie de rupture : le deep learning
Il est clair que l’intelligence artificielle est bien une « technologie de rupture » par rapport au numérique programmable, technologie de continuité, puisqu’elle se différencie tout à fait du second par la caractéristique essentielle de l’auto-apprentissage.
Selon Wikipédia, l’essentiel de la recherche et du développement en matière d’intelligence artificielle porte sur le « deep learning », encore appelé « deep structured learning » ou « hierarchical learning », c’est-à-dire sur l’apprentissage en profondeur.
Lorsqu’on examine chacune des cinq révolutions technologiques, il apparait clairement que ce sont ces technologies de rupture qui en sont l’origine, soit par ordre chronologique, la machine à vapeur, le chemin de fer, l’électricité, le numérique, l’intelligence artificielle.
3.1.2. Le diagnostic de la C.I.A. : « la généralisation l’intelligence artificielle »
Le rapport de la C.I.A., on l’a vu plus haut, ne mentionne qu’une seule fois l’expression « révolution industrielle », et ce sans faire directement référence à l’intelligence artificielle.
Néanmoins, l’expression « Généralisation de l’intelligence artificielle » utilisée par ailleurs par la C.I.A. dans l’un des titres de son rapport, venant de l’orfèvre en la matière qu’est cet organisme et qui de son propre aveu a procédé, lors de la préparation de celui-ci à des « enquêtes auprès des principales entreprises spécialisées dans ce domaine » n’est sans doute pas l’effet du hasard. On peut estimer pour ces raisons qu’il ne s’agit pas là d’un simple élément de langage de la méthode prospective, mais bel et bien d’un diagnostic et d’une prévision.
Le rapport insiste sur le rôle essentiel que l’I.A. devrait jouer dans la plupart des domaines :
D’ici à 2040, les applications de l’I.A., combinées à d’autres technologies, profiteront à presque tous les aspects de la vie : améliorations des soins de santé, transports plus surs et plus efficaces, éducation personnalisée, amélioration des logiciels pour les tâches quotidiennes et augmentation des rendements des cultures agricoles.
Les dirigeants politiques et commerciaux du monde entier sont à la recherche des talents mondiaux et consacrent des ressources au développement de l’I.A. dans l’espoir d’être parmi les premiers à l’utiliser pour remodeler les sociétés, les économies et même la guerre.
3.1.3. Kai-Fu Lee versus C. I.A.
L’ouvrage de référence de Kai-Fu Lee, LA PLUS GRANDE MUTATION DE L’HISTOIRE, déjà cité est paru en France en mai 2021, soit quelques semaines après le rapport de la C.I.A.
Par sa rigueur, sa précision, sa clarté et sa vision, cet ouvrage se situe aux antipodes du rapport de la C.I.A. A la différence de ce dernier, il a tout d’abord la rare qualité d’identifier, de nommer et de dater la révolution technologique qu’est l’intelligence artificielle et ce sur la base de la technologie de rupture radicale qu’est le deep learning. Il s’étend ensuite beaucoup plus que le rapport de la C.I.A., sur l’impact de l’intelligence artificielle sur la société, l’économie, et l’emploi. Avec cet ouvrage le lecteur a donc, à la différence de ce rapport, une vision d’ensemble de la 5e révolution technologique.
3.2. Le 2e moteur : La généralisation du numérique dès 2025
Le sujet de la généralisation du numérique, technologie de continuité, est essentiel car celle-ci conditionne étroitement celle de l’intelligence artificielle.
Nous avons vu dans la première partie que, selon Kondratieff et Schumpeter, les technologies inventées au cours d’un cycle sont généralisées au cours du cycle suivant, ce qui est manifestement le cas des NTIC. Celles-ci ont été inventées au cours du cycle n° 4 (1953-2012), la plupart dans la deuxième phase du cycle, et, de ce fait, elles sont encore loin d’être généralisées tant géographiquement que socialement.
3.2.1. Selon la CNUCED, en 2019, « l’ère du numérique n’en est encore qu’à ses balbutiements »
Dans l’article d’août 2020, je citais une étude récente de la CNUCED (Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement). Celle-ci indique dans son « Rapport sur l’économie numérique 2019 » que :
L’ère du numérique n’en est encore qu’à ses balbutiements et suscite plus de questions que de réponses… Grâce au progrès du numérique, une immense richesse a été créée en un temps record, mais elle est concentrée dans les mains d’un petit nombre de personnes, d’entreprises, et de pays…
Les nouvelles technologies, en particulier l’intelligence artificielle, entraineront inévitablement un bouleversement à grande échelle du marché du travail.
3.2.2. Selon la C.I.A.et d’autres sources, le numérique : 30 % du PIB mondial dès 2020
Assez curieusement on ne trouve que très peu d’information sur la part actuelle du numérique dans l’économie mondiale, notamment aux États-Unis, Le rapport de la C.I.A. fournit néanmoins une estimation, qui confirme des données antérieures :
« Les ventes du commerce électronique en 2018 étaient équivalentes à 30 % du PIB mondial cette année-là, selon les données publiées en 2020 »..
Selon la Banque mondiale, dans un article en date du 18/04/2019 :
L’économie numérique mondiale représentait en 2016 11 500 milliards de dollars, soit 15,5 % du produit intérieur brut (PIB) mondial — ce chiffre devrait atteindre 25 % en moins d’une décennie, c’est-à-dire avant 2026.
Enfin, depuis plusieurs années, un organisme officiel chinois, le CAICT (China Academy of Information and Communication Technology) lié au ministère de l’Industrie, publie chaque année un livre blanc sur le sujet. Selon celui publié en 2020, rapporté par French.China. ORG.CN :
La valeur ajoutée de l’économie numérique chinoise a atteint 35 800 milliards de yuans (environ 5 070 milliards de dollars) en 2019, représentant 36,2 % du PIB.… L’économie numérique de Beijing et de Shanghai représentait plus de 50 % du PIB de ces villes.
Un livre blanc antérieur du CAICT indiquait modestement que la Chine venait en second rang en ce qui concerne la place du numérique dans l’économie, mais sans préciser le pays qui venait au premier rang ni la part du numérique dans le PIB de ce pays. Malgré mes recherches je n’ai trouvé aucun chiffre en ce qui concerne le coupable, les USA, mais, en supposant que le classement n’ait pas changé depuis, on peut estimer que la part de ce pays est supérieure à 36,2 %.
3.2.3. L’accroissement hyper rapide du nombre d’internautes
Entre 2014 et 2020, le nombre d’internautes est passé de 3 milliards à 4,54 milliards.
Le nombre d’utilisateurs de l’internet mobile est passé de 2 milliards en 2016, à 3,8 en 2019 et il devrait atteindre 5 milliards en 2025. Cette progression s’est fortement accélérée avec la pandémie de la Covid 19.
3.2.4. La généralisation des utilisations du numérique : huit secteurs
Le rapport de la C.I.A. comprend un graphique intitulé « Un monde hyperconnecté » dont les 8 éléments sont reproduits dans la Mind Map ci-jointe, sous le titre « Généralisation du numérique ». Quand on pense « numérique » on n’envisage souvent que quelques utilisations telles que l’informatique, les réseaux ou l’internet des objets, mais le rapport en dénombre huit. Le rapport souligne que :
La convergence croissante de domaines apparemment sans rapport entre eux et l’intensification de la concurrence mondiale pour générer et conserver un avantage accélèrent l’émergence de technologies de pointe.
3.2.5. La généralisation des objets connectés
Le rapport donne une information d’autant plus importante concernant le développement du numérique que celle-ci se situe à un horizon très proche : 2025. D’ici là, le nombre d’objets connectés devrait passer à 64 milliards, contre 10 milliards en 2018. Les deux outils principaux qui permettraient cette progression seraient la multiplication des capteurs et le développement de la 5G.
3.2.6. La généralisation à court terme de l’industrie 4.0
Cette prévision recoupe tout à fait celle, tout aussi importante, du développement du numérique dans l’industrie. L’article de Wikipédia en langue anglaise, intitulé Fourth Industrial Revolution, plus détaillé et plus à jour que celui en langue française, Révolution 4.0., montre ainsi que certains états, comme les États-Unis, l’Allemagne et la Chine, ont des plans à court terme de généralisation du numérique dans l’industrie. Wikipédia indique ainsi que :
Le gouvernement fédéral allemand a annoncé que l’industrie 4.0. fait partie intégrante de la stratégie 2020 des Hautes technologies pour l’Allemagne
En France, le président Macron a lancé en 2015 l’association Alliance pour l’Industrie du futur, dont le nom est devenu en 2021 Solutions Industrie du Futur (S-I-F). Cet organisme se présent comme suit sur son site web http://www.industrie-dufutur.org/:
La Filière Solutions Industrie du Futur (S-I-F) organise et coordonne les initiatives, projets et travaux collectifs, qui conduisent à transformer l’industrie en France en se modernisant, grâce aux solutions et technologies de l’Industrie du Futur alliant le numérique.
3.3. Le 3e moteur : les biotechnologies : 20 % de l’activité économique mondiale en 2040
Ce troisième moteur de la cinquième révolution technologique : le développement des biotechnologies est un moteur plus spécifique que les deux précédents. Je le mentionne néanmoins, car, selon le rapport de la C.I.A.
“Les biotechnologies sont susceptibles de contribuer de manière significative à la croissance économique au cours des deux prochaines décennies, et d’affecter potentiellement 20 % de l’activité économique mondiale d’ici 2040… contre jusqu’à 10 % de l’économie européenne en 2017-2019.
« L’amélioration de la capacité à manipuler de manière prévisible les systèmes biologiques, renforcée par les progrès dans les domaines de l’automatisation, de l’information et des sciences des matériaux, suscite des innovations sans précédent dans les domaines de la santé, de l’agriculture, de la fabrication et des sciences cognitives.
4. ‘L’ouragan perpétuel de la destruction créatrice
Le rapport de la C.I.A. n’utilise jamais, on l’a déjà dit, l’expression « destruction créatrice », sans doute pour des raisons politico-médiatiques. Il utilise cependant à maintes reprises des périphrases et il insiste sur la rapidité de l’évolution des technologies ainsi que sur l’adaptation nécessaire à tous les niveaux : états, entreprises, individus. En voici deux exemples :
L’I.A. va transformer presque toutes les industries et perturber la main-d’œuvre mondiale, en créant de nouveaux domaines d’emploi, et en éliminant d’autres, entrainant ainsi des mutations économiques et sociales.
Les technologies sont inventées, utilisées, diffusées, puis abandonnées à une vitesse toujours plus grande dans le monde entier, et de nouveaux centres d’innovation apparaissent. Au cours des deux prochaines décennies, le rythme et l’ampleur de l’évolution de la technologie seront de plus en plus importants.
5. “L’avenir incertain de l’argent” : les monnaies numériques souveraines ou privées
“L’avenir incertain de l’argent” est le titre d’un encadré figurant dans le rapport de la C.I.A. En voici un extrait :
Le secteur financier n’est pas à l’abri des changements technologiques qui transforment d’autres industries. Les monnaies numériques sont susceptibles d’être plus largement acceptées au cours des deux prochaines décennies, à mesure que le nombre de monnaies virtuelles proposées par les banques centrales augmente. La banque centrale de Chine a lancé la sienne en 2020 et un consortium d’autres banques travaillant en collaboration avec la Banque des règlements internationaux, explore les fondamentaux des monnaies numériques souveraines.
L’introduction de monnaies numériques émises par des entreprises privées, comme le Libra proposé par Facebook, contribuerait à renforces l’acceptation desdites monnaies.
6. L’un des trois principaux défis : la gestion de la dette et des crises financières
Pour la C.I.A. l’un des trois principaux défis que le monde aura à relever d’ici 2040 est la gestion de la dette et des crises financières qui peuvent en résulter. J’ai été agréablement surpris que cette parole de vérité vienne d’un tel organisme, dont on pourrait penser qu’il soit tenu à une certaine modération dans ses propos, sinon à une obligation de réserve.
J’ai par contre été désagréablement surpris de constater que la C.I.A. se limite à la dette nationale des pays émergents, en excluant par conséquent, d’une part, certains pays développés, d’Europe du Sud ou d’Amérique du Sud, et d’autre part les dettes privées, notamment celle d’établissements bancaires, dettes en grande partie générées par la politique d’extrême faiblesse des taux d’intérêt élaborée par les banques centrales.
Il est vrai que ces pays émergents présentent à eux seuls un grand risque puisque selon le rapport de la C.I.A. :
« En 2019 environ deux cinquièmes d’entre eux présentaient un risque de surendettement »… et pourraient être confrontés à un risque de crise de la dette, même si les taux d’intérêt restent bas ».
Je reviendrai dans la troisième partie (§ 4. Le caractère inéluctable, des crises économiques et financières) sur ce sujet, notamment sur les points non traités par le rapport C.I.A. c’est-à-dire sur la possibilité de crises économiques liées à l’éclatement des différentes bulles financières.
7. Deux exemples d’évolution dans deux secteurs clés.
Le rapport de la C.I.A. prend position sur l’évolution de différents secteurs importants de l’économie. En voici deux exemples, sur les énergies fossiles et sur l’industrie spatiale.
7.1. Les énergies fossiles demeureront prédominantes malgré le fort développement des énergies renouvelables
Tout en estimant que les énergies fossiles demeureront prédominantes, le rapport affirme :
Il est presque certain que l’énergie éolienne et solaire connaitra une croissance plus rapide que toute autre source d’énergie en raison des progrès technologiques et de la baisse des coûts.
7.2. L’extension de l’exploration spatiale, la croissance spectaculaire du secteur privé
Selon la C.I.A :
En 2040, le paysage spatial combinera les technologies émergentes et le progrès des compétences actuelles pour favoriser la commercialisation et l’introduction de nouvelles applications. Les services tels que les communications, de navigation et d’imagerie par satellite, deviendront omniprésents.
Même si les gouvernements resteront les principales sources de financement des activités d’exploration spatiale à grande échelle, le rôle des entités commerciales va s’étendre de manière spectaculaire.
8. La place de l’Europe : entre les deux leaders, les États-Unis et la Chine
Le rapport de la C.I.A. insiste beaucoup sur le leadership des États-Unis et de la Chine, leadership qui est déjà dû pour une part importante à la position dominante, sinon de monopole de ces deux pays en ce qui concerne les nouvelles technologies, notamment l’intelligence artificielle.
L’Europe, plus de trente ans après l’arrivée d’Internet est encore dépourvue de plateformes numériques. Selon Kai-Fu Lee « il ne lui reste que très peu de temps pour combler ce retard ».
IIIe PARTIE – LES 4 GRANDES TENDANCES ÉCONOMIQUES DE LONG TERME
L’année 2021 est une année exceptionnellement faste en matière de prévisions économiques et financières de long terme. En effet, pour la première fois dans toute l’histoire de la civilisation industrielle, c’est-à-dire depuis l’invention en 1769 de la première machine à vapeur opérationnelle, nous sommes en présence de quatre cycles de Kondratieff complets. Le quatrième, celui des N.T.I.C. 1953 – 2012 vient de se dérouler sous nos yeux.
La grande similitude des caractéristiques de ces quatre cycles permet de confirmer l’existence de quatre grandes tendances économiques de long terme :
- L’existence des « grandes vagues dans la conjoncture »
- La confirmation empirique, sinon théorique, des cycles de Kondratieff
- L’enchainement des révolutions technologiques
- Le caractère inéluctable des crises économiques et financières
1. L’existence des « grandes vagues dans la conjoncture »
1.1. Le constat par Kondratieff des « grandes vagues dans la conjoncture »
S’il n’y avait, en matière de prévision économique de long terme, qu’une seule certitude à retenir de l’analyse des quatre cycles de Kondratieff écoulés ce serait, sans conteste, l’existence, en dehors de tout concept de cycle, ce point est très important, de ce que le grand économiste avait déjà constaté à son époque : « Les grandes vagues dans la conjoncture »
« Le laps de temps que nous avons pu étudier est suffisant pour trancher l’existence de grandes vagues dans la conjoncture ».
Pour Kondratieff, l’expression « grandes vagues dans la conjoncture » désigne de très longues périodes, vingt à trente ans, de hausse ou de baisse non seulement de facteurs économiques majeurs tels que la croissance économique, l’inflation, ou les taux d’intérêt, mais aussi des facteurs secondaires qui en dépendent tels que les principales classes d’actifs économiques et financiers.
Dans un premier temps, Kondratieff s’est borné à constater l’existence de ces grandes vagues. Ce n’est qu’après avoir élaboré les lois qui les régissaient qu’il a conclu au caractère cyclique de celles-ci, c’est-à-dire à leur répétition périodique sur une longue durée.
Il est clair que la connaissance de l’existence de ces « grandes vagues de la conjoncture » ou, si l’on préfère, de ces tendances économiques de long terme est à elle seule, même en faisant abstraction de leur caractère cyclique, un avantage important pour tout agent économique, qu’il s’agisse d’un état, d’une entreprise ou d’un individu. Cela dit, c’est leur périodicité sur le long terme, c’est-à-dire leur caractère cyclique, qui leur confère toute leur force.
1.2. La confirmation des « grandes vagues de la conjoncture » au cours du 4e cycle 1953-2012
Nous avons vu qu’au cours de ce 4e cycle, l’inflation en France a été croissante pendant pas moins de trente-deux années et décroissante pendant vingt-huit ! Et, bien entendu, les taux d’intérêt ont suivi exactement la même évolution, puisqu’ils sont étroitement conditionnés par l’inflation. Cette baisse de l’inflation et des taux d’intérêt s’est d’ailleurs poursuivie jusqu’à aujourd’hui c’est-à-dire au début du cinquième cycle.
Ces deux longues vagues de l’inflation sont d’autant plus emblématiques des observations de Kondratieff que cet indicateur est la mère de tous les indicateurs économiques, puisque celle-ci, comme l’enseigne le marketing, est la résultante de toutes les composantes des marchés : offre, demande, conjoncture, politique, géopolitique, culture, climat et j’en passe.
De plus, Kondratieff s’est intéressé non seulement aux cycles de long terme, mais aussi aux cycles de moyen terme. Nous avons vu que grâce aux bases de données des agences de renseignements économiques et financiers on pouvait aujourd’hui suivre l’évolution des principales classes d’actifs sur une longue durée.
Ainsi avons-nous pu constater que l’indice Nasdaq des valeurs technologiques est en forte hausse depuis près de douze ans et, qu’à l’inverse, l’indice CRB des matières premières était en forte baisse pendant la même durée jusqu’en mars 2020, date de son retournement en forte hausse.
2. La confirmation empirique, sinon théorique, des cycles de Kondratieff
2.1. La théorie des grands cycles économiques n’est toujours pas démontrée
En cette année 2021, la théorie des grands cycles économiques ne semble pas plus scientifiquement démontrée qu’elle ne l’était du temps de Kondratieff. Voici ce qu’il en disait lui-même :
Si le laps de temps que nous avons pu étudier est suffisant pour trancher la question de l’existence de grandes vagues dans la conjoncture, il est insuffisant pour pouvoir aussi affirmer de façon absolument catégorique le caractère cyclique de ces vagues…
Je ne prétends pas du tout donner dès à présent une théorie achevée des grands cycles…
Il est clair que le problème de l’explication des grands cycles, au stade actuel de nos connaissances, est extrêmement difficile.
2.2. Kondratieff avait néanmoins conclu, empiriquement, à l’existence probable des cycles longs
Mais Kondratieff n’en avait pas moins conclu, empiriquement, à l’existence probable des cycles longs :
Compte tenu de ce fait, les objections peu convaincantes contre le caractère régulièrement cyclique des vagues, et des arguments positifs qui ont été développés plus haut, nous arrivons à la conclusion, que d’après les données dont on dispose, l’existence des grands cycles de la conjoncture est fort probable
2.3. L’observation des quatre derniers cycles tend à confirmer l’existence des cycles longs
Après observation des troisième et quatrième cycles, que Kondratieff, on le rappelle, n’avait pas connus, on peut formuler la même conclusion.
Nous avons vu que l’on retrouve dans les quatre grands cycles écoulés, notamment dans le quatrième, les mêmes profils graphiques, avec les deux grandes phases emblématiques ascendantes et descendantes, les mêmes séquences de phénomènes économiques, sociétaux et politiques, et les mêmes durées prévues par Kondratieff.
2.4. L’apport nécessaire des disciplines modernes
Aujourd’hui, la théorie des cycles longs ne semble pas intéresser les économistes, si l’on en juge par l’absence totale d’articles de fond en la matière sur le Web., à moins que les initiés ne souhaitent en conserver les précieux enseignements pour leur propre usage.
Dans l’excellente préface qu’il a consacrée à l’ouvrage de Kondratieff en 1992, Louis Fontvieille, directeur de recherche au CNRS, insiste sur ce sujet :
Incontestablement les recherches sur la périodicité restent encore le point faible de la théorie du cycle long.
Il semble que la validation de la théorie des cycles longs pourrait progresser si elle incluait les disciplines qui n’étaient encore que peu développées ou qui n’existaient pas du temps de Kondratieff, telles que l’informatique, la psychologie, la sociologie et le marketing.
La répétition des cycles économiques n’aurait-elle pas pour origine la répétition, intemporelle, des comportements humains ? Ainsi la théorie des cycles sociaux de Sarkar semble trouver un écho dans les mouvements populistes observés aujourd’hui dans le monde entier et dans l’instauration de gouvernements autoritaires. Serions-nous à la fin de l’ère des propriétaires, et au début de celle des travailleurs et des guerriers ?
Sur le plan technique, il est clair que la mathématisation de l’économie et la numérisation de l’information économique et financière, notamment la création de bases de données informatisées portant sur de longues périodes devrait fortement faciliter l’identification des cycles économiques et financiers de long terme, et plus particulièrement permettre de déterminer avec précision, sans doute au jour près, les dates de renversement de tendance de ces cycles.
Quel rôle pourrait jouer l’intelligence artificielle dans le déroulement des cycles économiques de long terme ? D’ores et déjà on constate que, depuis plus de dix ans, les banques centrales sont parvenues à modifier fortement, à la baisse, les taux d’intérêt, sans toutefois réussir pour autant à relancer l’inflation.
Le facteur humain conserve son importance, au moins à long terme, comme on peut le constater, grâce à la loi des cycles sociaux, dans les mouvements populistes actuels. Pour combien de temps encore ? Il est clair que l’I.A. n’a déjà fait qu’une bouchée des huit principales émotions qui font agir le genre humain et peut-être aussi des quelques huit-cents sentiments qui les composent.
Mais, de là à modéliser les affects de l’ensemble de l’humanité à l’aide d’algorithmes et de deep learning et à prévoir les comportements de celle-ci à long terme sous tous leurs aspects et dans toutes les circonstances, il y a, peut-être, un pas à franchir. Espérons qu’il soit le plus grand possible !
3. L’enchainement des révolutions technologiques
La comptabilisation des cycles de Kondratieff et même celle des révolutions technologiques n’est certes pas une science exacte. En ce qui concerne les révolutions technologiques, sujet qui devrait pourtant être bien défini, certains économistes éminents, estiment que nous sommes dans la troisième, d’autres non moins éminents dans la quatrième.
Dans deux articles différents Wikipédia traite dans l’un de la troisième révolution industrielle et dans l’autre de la révolution 4.0. Mêmes différences en ce qui concerne les cycles de Kondratieff. Certains experts considèrent que nous sommes dans le quatrième, d’autres dans le cinquième, ce qui suscite la perplexité des internautes qui s’intéressent à ce sujet.
L’une des principales sources de confusion semble être de ne pas tenir compte des cycles économiques et de la notion de technologie de rupture dans la définition des révolutions technologiques.
Ainsi, certains auteurs considèrent que la machine à vapeur et le chemin de fer constituent une seule et même révolution industrielle alors qu’il s’agit de deux technologies de rupture très différentes et donc de deux révolutions industrielles différentes.
De même Wikipédia, le rapport de la C.I.A. et le Rapport économique de Davos incluent-ils l’intelligence artificielle dans la quatrième révolution industrielle, alors qu’il est reconnu que le deep learning est une technologie de rupture.
Nous avons vu que pour Kondratieff et Schumpeter, les cycles économiques et les révolutions industrielles sont nécessairement indissociables, les premiers étant le reflet des secondes et que ces révolutions étaient générées par des technologies de rupture soit, successivement, la machine à vapeur, le chemin de fer, l’électricité, et enfin, en ce qui concerne le quatrième et dernier cycle, les N.T.I.C.
On a vu également que l’une des lois des grands cycles établies par Kondratieff est que tout cycle est la préparation du suivant dans la mesure ou les technologies inventées au cours d’un cycle sont exploitées d’une manière plus générale dans le suivant. Ainsi le cycle de la machine à vapeur a-t-il préparé le cycle du chemin de fer, qui initialement utilisait la machine à vapeur et les N.T.I.C. ont — elles préparé le cycle de l’intelligence artificielle, laquelle n’existerait pas sans celles-ci.
Enfin, on constate que depuis 2012, date à laquelle la supériorité du deep learning sur les autres technologies numériques a été confirmée ainsi que le fait qu’il s’agit d’une « technologie de rupture majeure » la destruction créatrice s’est fortement accélérée ainsi que la croissance des valeurs technologiques et les investissements des entreprises spécialisées dans l’intelligence artificielle.
L’importance de ces différents facteurs et leur cohérence démontent, à mon avis, que nous sommes bien entrés dans la cinquième révolution technologique.
4. Le caractère inéluctable des crises économiques et financières
C’est à juste titre que la C.I.A. considère dans l’introduction de son rapport que l’un des principaux défis que le monde aura à relever au cours des deux prochaines décennies sera celui de la gestion des crises financières.
Ce que ne dit pas le rapport de la C.I.A. c’est que la nécessité d’une réforme du système monétaire international ne découle pas uniquement de l’essor du numérique et de l’intelligence artificielle. Il résulte aussi du grand désordre qui règne dans ce système à la suite des manipulations extrêmes que lui ont fait subir les banques centrales, notamment la FED, tout au long du cycle de Kondratieff n° 4 (1953-2012). Il convient d’avoir ces manipulations à l’esprit si l’on veut mesurer le risque que celles-ci font courir à l’économie mondiale.
Ce qui frappe dans ces manipulations c’est d’une part leur importance, leur diversité et leur cumul et d’autre part le fait qu’elles ont toutes trois pour objet de contrer l’évolution spontanée du marché. Elles sont au nombre de trois : l’amputation majeure qu’a été l’abandon de la convertibilité du dollar en or, la perfusion persistante de taux d’intérêts faibles ou nuls et enfin, l’électrochoc d’injections massives de liquidités en un laps de temps très court.
4.1. L’amputation majeure ou l’abandon de la convertibilité du dollar en or
:Du point de vue de l’orthodoxie économique et financière, la plus fondamentale de ces trois manipulations fut sans doute l’abandon en 1971 par le président Richard Nixon de la convertibilité du dollar en or. Cet abandon historique constituait une véritable révolution monétaire puisqu’il supprimait tout lien avec une monnaie, l’or, qui avait eu cours pendant des milliers d’années.
Selon les hérauts de l’orthodoxie financière cet abandon a engendré des résultats désastreux en supprimant tout frein en matière de création monétaire de la part des banques centrales, ce qui a permis ensuite à celles-ci d’inonder impunément les marchés de liquidités, en ignorant toute relation entre monnaie et création de richesse. A la lumière de ces résultats, on peut penser que l’or n’était pas du tout, comme l’a dit Keynes, « une relique barbare », mais que le barbare était l’auteur de cette expression !
La nécessité de fonder les monnaies sur une base solide telle que l’or demeure présente encore aujourd’hui comme en témoignent les projets de monnaies numériques basées sur ce métal, tels que Kinesis et plusieurs autres. Selon leurs créateurs ce type de monnaie permettrait d’allier l’extrême facilité d’utilisation du numérique à la solidité financière de l’or.
4.2. La perfusion permanente de taux d’intérêt faibles ou nuls de 2008 à 2021
On sait que depuis la crise de 2008 les États ont eu pour politique de lutter contre la déflation et de stimuler l’économie en faisant artificiellement baisser les taux d’intérêt, avec des techniques telles que le « quantitative easing ».
Le marché des taux d’intérêt est ainsi en quelque sorte en situation de perfusion continue depuis plus de dix ans, avec des taux d’intérêt très faibles, voire négatifs.
Selon les experts, les deux inconvénients majeurs de cette politique sont d’une part le surendettement de la plupart des agents économiques : états, entreprises, particuliers et d’autre part la constitution d’énormes bulles financières, les principales étant celles de l’obligataire, des actions et de l’immobilier. Celles-ci sont à la merci d’une hausse sensible des taux d’intérêt.
4.3. Les électrochocs. En juin 1982 le taux directeur de la Fed passe de 11,7 à 14 % !
En cas d’urgence, par exemple en cas de risque de crise immédiate du crédit, les banques centrales ont aussi procédé par électrochocs, c’est-à-dire par des injections massives de liquidités en un laps de temps très court.
Ainsi le taux directeur de la Réserve fédérale qui avoisinait les 1,2 % en 1979, fut-il porté par Paul Volcker, président de la FED à 20 % en juin 1981, ce qui eu pour effet de stopper net l’inflation laquelle était alors proche des 14 %, mais aussi de provoquer une forte récession.
De même, à plusieurs reprises, notamment en 2019, les Banques Centrales ont procédé à des injections massives de liquidités en ce qui concerne les taux au jour le jour (taux repos) arrêtant net ainsi leur flambée inattendue.
Ce constat de la C.I.A. rejoint tout à fait les observations que Kondratieff et Schumpeter ont faites sur le déroulement des cycles économiques de long terme et les révolutions industrielles dont ceux-ci sont le reflet. Comme le dit Kondratieff :
Une période de hausse prolongée de la conjoncture est liée, dans la réalité, à des changements radicaux dans le domaine de la production, à des phases de guerre fréquentes et de secousses révolutionnaires
« Changements radicaux » que Schumpeter résume par l’oxymore et la métaphore célèbres de « l’ouragan perpétuel de la destruction créatrice ».
Le tableau récapitulatif du paragraphe 4 de la section concernant Kondratieff montre, par exemple, que les phases ascendantes des trois premiers cycles se sont toutes trois terminées par des guerres : 1817, 1874, 1918.
Une exception, la Seconde Guerre mondiale, dont la date de terminaison, 1945, est proche de la fin du quatrième cycle : 1953. Mais, certains auteurs considèrent, on l’a vu, que celle-ci fut la conséquence directe de la Première Guerre et que les deux guerres n’en forment qu’une seule.
Fort heureusement il n’y pas eu de grande guerre sanglante au cours du quatrième cycle. On constate néanmoins que la fin de la guerre froide, matérialisée par la chute du mur de Berlin en 1989, est survenue quelques années après le sommet du quatrième cycle, soit en 1982.
David Knox Barker a évoqué la lutte de Titans entre l’inflation et la déflation, lutte qui caractérise la situation macro-économique et financière actuelle du monde. On peut se demander si la véritable lutte de Titans n’est pas celle entre l’intelligence artificielle et la dette mondiale.
Les scénarios apocalyptiques d’une crise de cette dette ne tiennent jamais compte de l’accroissement très important des richesses qui résulte des quatrième et cinquième révolutions industrielles. Nous avons vu que selon les meilleures sources le numérique représente d’ores et déjà plus de 30% du PIB mondial et que l’intelligence artificielle devrait fortement accélérer cette évolution.
Tout se passe comme si la politique ultra laxiste des banques centrales en matière de taux d’intérêt avait pour objet de lisser dans le temps les effets de la crise de 2008 tout en anticipant la création de richesse générée par la cinquième révolution.
CONCLUSION. ENTRE 5e RÉVOLUTION, DESTRUCTION CREATRICE & CRISES : L’ADAPTATION
« La rigueur scientifique tout à fait exceptionnelle de ses analyses le classe parmi les plus grands économistes et constitue un modèle pour tous les chercheurs en sciences sociales ».
J’ai repris en exergue de la conclusion de cet essai l’appréciation, très élogieuse, que Louis Fontvielle donne des travaux de Kondratieff dans la préface de la récente édition française des GRANDS CYCLES DE LA CONJONCTURE. Un peu moins de cent ans après la première parution de cet ouvrage on peut en reprendre mot pour mot les deux principales conclusions :
Nous arrivons à la conclusion que, d’après les données dont on dispose, l’existence des grands cycles de la conjoncture est fort probable.
Je ne prétends pas du tout donner dès à présent une théorie achevée des grands cycles… Il est clair pour chacun d’entre nous que le problème de l’explication des grands cycles, au stade actuel de nos connaissances, est extrêmement difficile.
À ma connaissance, la théorie des grands cycles économiques n’est toujours pas scientifiquement démontrée en ce début du XXIe siècle malgré le progrès des sciences de tous ordres. En revanche, à la différence de Kondratieff, nous avons aujourd’hui la chance de connaitre l’intégralité des quatre cycles économiques et technologiques écoulés depuis les années 1800 et de pouvoir constater la grande similitude de leurs caractéristiques. À défaut d’une démonstration pleinement scientifique de ces cycles, nous en avons la démonstration empirique.
Le quatrième et dernier cycle, 1953-2012, notamment, est quasiment un cas d’école. On y retrouve, avec une grande cohérence, toutes les principales caractéristiques d’un cycle de Kondratieff :
- Les deux grandes phases emblématiques, ascendante, 1953-1981, puis descendante, 1981-2012
- L’irruption historique, en 2012, d’une « rupture technologique majeure » celle de l’intelligence artificielle
- La violence de « l’ouragan perpétuel de la destruction créatrice » : vaccins anti Covid ARN messager, automobile électrique, fusées SpaceX d’Elon Musk, monnaies numériques, taxis Huber, etc. D’après un récent article de l’hebdomadaire Le Point, « Audi devrait lancer son dernier modèle à moteur thermique en 2026 » !
- La hausse spectaculaire, rarissime et symptomatique – près de 87% par an ! – depuis douze ans, des valeurs technologiques
- Le fait que ce 4e cycle ait préparé le 5e, le numérique représentant déjà plus de 30 % du PIB mondial
- Le caractère international de ce cycle. Sur ce dernier point on constate qu’avec la mondialisation de l’économie le cycle de Kondratieff est, lui aussi, devenu mondial alors que les travaux de l’économiste ne portaient que sur les économies occidentales
Nous avons vu que selon Kondratieff et Schumpeter les changements de cycles économiques sont indissociablement liés aux révolutions technologiques. En ce qui concerne le cinquième cycle, qui a commencé en 2012, la révolution concernée est, à l’évidence, bien qu’elle ne soit pas encore officiellement reconnue, celle de l’intelligence artificielle avec la technologie de rupture radicalement novatrice qu’est le deep learning.
Mais l’histoire montre aussi que les révolutions technologiques ne sont jamais de longs fleuves tranquilles. On oublie parfois que les Trente Glorieuses de l’après-Seconde Guerre mondiale ont été aussi celles de la guerre froide, avec même une menace de guerre atomique, et que dans la phase descendante de ce quatrième cycle la révolution des N.T.I.C. a profondément modifié de nombreux métiers ainsi que nos comportements et nos modes de vie.
La particularité des nouvelles Trente Glorieuses dans lesquelles nous sommes entrés avec la révolution de l’intelligence artificielle est, outre la nature intellectuelle et la rapidité intrinsèque de cette dernière, le fait que celles-ci se heurtent à deux autres défis, bien identifiés dans le rapport de la CIA sur le Monde en 2040 : l’environnement et les crises financières.
L’environnement étant, à lui seul, un sujet de la plus grande importance, il se situe de ce fait hors du champ de cet article. Il n’en est pas de même des crises financières. Le fait même qu’un organisme aussi bien informé que la CIA les considère comme un défi inéluctable des prochaines décennies est un indice significatif.
La charge et le remboursement de la dette mondiale est, à on le sait, un sujet qui préoccupe les économistes soucieux de l’orthodoxie financière. J’ai déjà dit qu’il existe actuellement des prévisions apocalyptiques sur ce sujet, y compris à court terme. L’hypothèse la plus courante serait l’éclatement des bulles financières, actions, obligataire, immobilier, sous l’effet d’une hausse sensible des taux d’intérêt, elle-même générée par le retour de l’inflation.
Il convient toutefois, à mon avis, de placer ces prédictions apocalyptiques dans le cadre du cinquième cycle de Kondratieff et de la cinquième révolution technologique, ce que ne fait, à ma connaissance, aucune de celles-ci.
Selon certains économistes, la politique d’extrême faiblesse des taux d’intérêt pratiquée par les banques centrales aurait pour objet, entre autres, de gagner du temps de manière à permettre à cette cinquième révolution de monter en puissance, notamment grâce aux gains de productivité générés par l’intelligence artificielle.
Or, comme je l’indiquais dans l’introduction, cette révolution est déjà bien engagée puisqu’elle a commencé il y a plus de dix ans, en 2012. On en voit déjà les très puissants effets dans les manifestations de la destruction créatrice. Bien que Kondratieff n’utilise jamais la métaphore des saisons, on peut dire que nous sommes actuellement dans la fin du printemps du cinquième cycle et donc dans une phase d’accélération.
Il faut aussi souligner que l’une des lois des cycles de Kondratieff est que les périodes de croissance économique sont plus nombreuses et plus longues au cours de la phase ascendante d’un cycle que dans la phase descendante et inversement.
C’est, semble-t-il, ce qui s’est produit au début du cinquième cycle (2012-2070) au cours des années 2019 et 2020. Les deux accidents de crédit survenus en 2019 ont été jugulés sur le champ par les banques centrales. Quant au krach de mars 2020, il n’a duré qu’un seul mois et la majorité des valeurs a retrouvé dès le mois d’avril son niveau antérieur, pour le dépasser ensuite. De même certains économistes nous annonçaient une grave crise économique liée à la pandémie alors que la croissance a repris de plus belle.
Enfin, nous avons vu que selon, Walter Scheidel l’un des meilleurs auteurs sur la question brûlante qu’est la croissance historique des inégalités, « Les quatre cavaliers de l’Apocalypse ont quitté leur monture » :
La guerre de masse appartient au passé », « la révolution transformatrice est devenue encore plus archaïque que la guerre totale », « la faillite des états et l’effondrement des systèmes sont également devenus extrêmement rares » et enfin, « il faudrait qu’une épidémie fasse des centaines de millions de morts à travers le monde pour approcher, en termes d’échelle, les grandes pandémies prémodernes
On peut donc espérer que, malgré les crises et quelle que soit l’importance de celles-ci, l’I.A. vaincra, la question essentielle demeurant celle du timing. Comme le résume fort justement l’un des économistes cités dans cet article :
« Nous sommes en 1949, pas en 1929 ».
Quoiqu’il en soit, entre 5e révolution technologique, destruction créatrice, et crises financières, la solution coule de source : l’adaptation. Les rapports de la C.I.A. et du Forum économique mondial de Davos conduisent à cette même conclusion, en insistant sur le fait que celle-ci doit s’effectuer dans des délais rapides, à l’horizon 2025. Je leur laisse la parole :
Le rapport de la C.I.A.
L’adaptation sera à la fois un impératif et une source essentielle de bénéfices pour tous les acteurs… Le rôle de la technologie sera fondamental dans ce processus d’adaptation…
Selon certaines estimations, l’actuelle connectivité, annonçant un univers hyperconnecté, atteindra 64 milliards d’objets d’ici 2025, contre 10 milliards en 2018.
Le Forum économique mondial de Davos
50 % de tous les employés auront besoin d’une requalification d’ici 2025… durant six mois au moins… car la double perturbation des impacts économiques de la pandémie ainsi que l’automatisation croissante transformant les emplois s’installe.
Le rôle de la technologie sera fondamental dans ce processus d’adaptation. Ainsi les pays capables d’exploiter les gains de productivité liée à l’intelligence artificielle verront s’élargir leurs possibilités économiques et permettront à leurs gouvernements de fournir davantage de services, de réduire la dette nationale, de financer une partie des coûts liés au vieillissement de la population.
Les nations ayant les moyens de soutenir, de développer et d’adopter l’I.A. dès maintenant bénéficieront d’avantages disproportionnés.
Le Forum dresse par ailleurs une liste des dix principales compétences qui seront requises par les entreprises en 2025 (Top 10 skills of 2025). Ces dix compétences sont rangées en quatre catégories : la résolution de problèmes, l’autogestion, les relations avec les autres, l’utilisation et le développement des technologies.
On remarque que les entreprises mettent l’accent sur la résolution de problèmes, avec quatre compétences sur dix, et par conséquent sur la formation et les aptitudes intellectuelles que celles-ci requièrent :
Pensée analytique et innovation
Résolution de problèmes complexes
Pensée critique et analyse
Raisonnement, résolution de problèmes et conceptualisation
Le Forum rejoint sur ce point le docteur Laurent Alexandre, dans « La guerre des intelligences » :
Il faut travailler sur le sens, l’empathie, des compétences que le système éducatif ne développe pas alors que l’esprit critique est plus que jamais utile…
Il faut bien sûr donner une culture numérique de base à tous les enfants pour les aider à se mouvoir dans le futur, mais il est plus crucial encore de former leur esprit critique, ce qui les protègera de la concurrence de l’I.A.
Pour un gamin normalement doué, il est mille fois plus important de lui apprendre à savoir lire, résumer et critiquer un texte, que lui faire ânonner quelque banalité informatique.
Laurent Alexandre insiste à juste titre sur la concurrence de l’I.A. Comment pourrions-nous l’affronter avec succès si nous ne connaissons pas le fonctionnement de notre propre esprit ?
On peut regretter à ce sujet d’une part les résultats médiocres de l’enseignement français (cf. Academic Ranking of World Universities et enquête Pisa) et d’autre part qu’à la différence des États-Unis, l’un des deux leaders de l’intelligence artificielle, – est-ce l’effet du hasard ? -, la rhétorique ne soit plus enseignée en France. On sait que l’une des trois bases de cette discipline est la logique, dont la connaissance est essentielle à la formation de l’esprit critique. Mais ceci est une autre histoire, qui fait plus couramment l’objet de ce blog.
De plus en plus nombreux sont les auteurs qui insistent sur les ravages intellectuels et psychologiques que provoque le tout numérique et sur la nécessité d’un rééquilibrage vers ce que l’on appelait, il n’y a pas si longtemps, les humanités. Les bien nommées.
Louis Marchand
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