POURQUOI LA RHETORIQUE DEMEURE-T-ELLE AUSSI EFFICACE ?


Introduction. Une nouvelle approche de la rhétorique : psychologique, marketing et ergonomique

1. La psychologie : la grande absente de la critique de la rhétorique classique

2. Le marketing : l’opinion de sommités et de milliers d’étudiants sur la rhétorique

3. L’ergonomie : « Le maximum de confort et d’efficacité pour le plus grand nombre » ?

4. Que reste-t-il en définitive de la rhétorique ? La richesse inépuisable de ses cinq pépites !

5. Les cinq parties de l’étude

1re PARTIE — QU’EST-CE QUE LA RHÉTORIQUE?

1. Aujourd’hui, Aristote est américain!

2. La définition classique de la rhétorique : l’art de la persuasion

3. «La rhétorique méthode de recherche de l’expression optimale de la pensée par le langage»

4. «La rhétorique étude de l’incompréhension et de ses remèdes» et méthodede pensée

5. Sciences «exactes» = «vérité». Rhétorique = vraisemblable

6. La rhétorique «monopole» intellectuel

7. La rhétorique transforme l’abstraction en concret

8. La rhétorique est la préparation écrite de la communication verbale

9. La théorie psychanalytique invalide un concept important de la rhétorique : la théorie des lieux

10. Une rhétorique à deux niveaux : théorique et pratique

11. La rhétorique au quotidien : l’art d’écrire et de parler dans les relations personnelles et publiques

12. La rhétorique, joie de l’esprit !

IIe PARTIE — LES CINQ PEPITES DE LA RHETORIQUE

1. Une combinaison magistrale : la rhétorique méthode de pensée ET méthode de communication

1.1. La rhétorique est globalement structurée en schémas de pensée

1.2. Les figures de rhétorique sont elles aussi, en tant que définitions, des schémas de pensée.

1.3. Les critères de l’éthique influent sur nos pensées et notre comportement

2. Un trésor psychologique et linguistique : les trois fondamentaux et les trois langages de la rhétorique

2.1. Les trois fondamentaux : la raison, les valeurs, les affects

2.2. Les trois langages : la logique, l’éthique, la psychologie

3. Une richesse conceptuelle inégalée qui en fait la référence incontournable en matière de communication

4. Une méthode toujours actuelle d’enchainement logique des idées  

4.1. Un concept omniprésent dans la rhétorique

4.2. Les trois méthodes de persuasion.

4.3. L’importance fondamentale des définitions

5. L’importance fondamentale des soixante principales figures de rhétorique en ce qui concerne la compréhension du langage

IIIe PARTIE – LES CINQ USINES A GAZ

1. La principale : la théorie abracadabrantesque des lieux communs et spéciaux

1.1. Le concept de lieux rhétorique : trouver des idées quand aucune ne vient spontanément à l’esprit !

1.2. Une théorie très complexe et, de ce fait, inutilisée dans la pratique

1.3. Une théorie en contradiction frontale avec la théorie psychanalytique

1.4. Une théorie en contradiction avec les figures de rhétorique

2. Les syllogismes complexes

3. Les quelque cent-quarante figures de style secondaires, très peu utilisées

4. Une méthode mnémotechnique obsolète

5. Une action oratoire dépassée par l’évolution de la société et les techniques audiovisuelles

IVe PARTIE – LA RHÉTORIQUE EST INTEMPORELLE ET UNIVERSELLE. QUATRE EXEMPLES

1. La philosophie

2. La politique

3. Le marketing

4.  Un exemple d’application de la  rhétorique à un sujet spécifique : le C.V.

Ve PARTIE – CINQ PISTES POUR REORGANISER L’ENSEIGNEMENT FRANÇAIS

1. Un must neurologique, pédagogique et économique : enseigner simultanément l’écrit et l’oral

1.1. Les zones du langage écrit et du langage verbal. La plasticité neuronale

1.2. Ne laisser en friches aucune zone du cerveau

1.3. La suppression de la rhétorique en France en 1902 a conduit, hélas! hélas! hélas! à privilégier l’écrit au détriment de l’oral

2. Les cinq pistes

2.1. Envoi aux États-Unis d’une mission d’information sur la rhétorique

2.2. Création de chaires de rhétorique dans les établissements d’enseignement supérieur

2.3. Création de 4.000 centres de formation à la prise de parole en public de type Toastmaster

2.4. Généralisation du projet Voltaire au niveau national pour l’apprentissage de l’orthographe

2.5. Prise de contact avec Tony Buzan, conseiller pédagogique d’états et inventeur du logiciel Mind Map

Conclusion. La rhétorique et l’esprit critique : l’information pléthorique, la désinformation, la pensée unique, les fakes news, l’intelligence artificielle

 

Introduction. Une nouvelle approche de la rhétorique : psychologique, marketing et ergonomique

Le grand paradoxe de la rhétorique classique, en ce début du XXIe siècle, est que des pans entiers en sont devenus obsolètes, ce que j’appelle les « usines à gaz », sans aucunement forcer le trait, tandis que, fort heureusement, l’essentiel, les « pépites », demeure intemporel et universel. Pour qui veut s’intéresser à la rhétorique il semble donc indispensable d’opérer une sélection.

Psychologie, marketing, et ergonomie permettent de porter un œil neuf, contemporain et quelque peu iconoclaste sur la vieille dame qu’est la rhétorique classique. Vieille dame qui, semble-t-il, comme beaucoup d’autres, n’aime pas du tout le changement !

La psychologie, on va le voir, fait partie des fondations de la rhétorique. Malheureusement elle a connu une éclipse à l’époque moderne en ce qui concerne la critique, pourtant indispensable, de la rhétorique, éclipse que je me suis efforcé d’écourter.

Le marketing, ici dans sa version archéologique pourrait-on dire, montre que certaines méthodes de la rhétorique classique ont été de tout temps contestées tant par l’élite des professeurs que par leurs étudiants. Rien ne vaut les enquêtes d’opinion !

Enfin, l’ergonomie a le grand mérite de rappeler, par la méthode, le bon sens : trop grande complexité et efficacité ne font pas bon ménage.

Nous verrons que ces trois outils, sans doute inattendus, au moins pour les deux seconds, se sont avérés très efficaces pour séparer le bon grain de l’ivraie ou en d’autres termes pour sélectionner les « pépites » et les « usines à gaz » de la rhétorique classique.

1. La psychologie : la grande absente de la critique de la rhétorique classique

Depuis l’origine et au cours de la plus grande partie de son histoire, la rhétorique a tenu le plus grand compte de la psychologie. Le démontre incontestablement, par exemple, le fait que le troisième angle du triangle rhétorique fondateur porte sur les affects, lesquels sont, on le sait, l’un des principaux objets de la psychologie.

Il est d’autant plus regrettable qu’à l’époque moderne, malgré les progrès importants de la psychologie, on n’en ait pas tenu compte en ce qui concerne la critique de la rhétorique classique. C’est vraisemblablement, en France, la suppression en 1902 de l’enseignement de cette discipline qui a fait que la psychologie moderne, notamment la psychanalyse, s’en soit totalement désintéressée. Aux États-Unis il faut sans doute incriminer les habitudes intellectuelles, la crainte de contester l’institution qu’est la rhétorique dans ce pays, sans oublier les motifs purement matériels.

Quand je dis que des pans entiers de la rhétorique classique sont obsolètes, ceci concerne au premier chef la théorie des lieux. Cette dernière ne constitue pas moins que la première des cinq parties de la rhétorique. Elle porte sur la question fondamentale qu’est la recherche des arguments et des idées. Or, cette théorie est, nous le verrons, tout à fait invalidée par la théorie psychanalytique.

De même nous verrons que la psychologie permet de mieux mesurer tout l’intérêt que présente, en ce qui concerne la compréhension du langage, la soixantaine de figures de rhétorique les plus utilisées. Alors même que celles-ci n’ont été parfois considérées que comme de simples ornements de langage lorsqu’elles n’ont pas presque disparu comme aujourd’hui en France.

Enfin, on peut dire que les méthodes de mémorisation, qui font l’objet de la quatrième partie de la rhétorique classique sont obsolètes par rapport aux méthodes modernes. Ces dernières consacrent une part beaucoup plus large à la psychologie et intègrent l’informatique notamment en utilisant les logiciels d’aide à la communication, comme MindMap (1).

2. Le marketing : l’opinion de sommités et de milliers d’étudiants sur la rhétorique

Oser s’attaquer à l’institution, au monstre sacré qu’est la rhétorique à l’aide de la méthode mercantile sinon barbare qu’est le marketing apparaitra sans doute aux tenants de l’orthodoxie comme digne du bucher ou comme anecdotique et ne présentant aucun intérêt. Et pourtant…

L’objectif du marketing est, on le sait, de proposer des produits ou des services qui correspondent aux attentes des consommateurs et leur procurent du plaisir. Or, lorsqu’on parcourt les ouvrages de rhétorique depuis les plus anciens jusqu’aux plus récents on constate que de tout temps des sommités de cette discipline ont déploré que leur « clientèle » ne comprenait rien à certaines de ses méthodes ! Un peu comme si, aujourd’hui, une grande entreprise proclamait que ses produits sont les meilleurs tout en regrettant que ses clients ne sachent pas les utiliser !

Ainsi, en s’appuyant sur ces principes du marketing on repère qu’à plusieurs époques de son histoire d’éminents enseignants en rhétorique comme Quintilien lui-même, l’un des pères de la discipline puis au XIXe siècle, à l’apogée de cette dernière, Eugène Thionville et enfin tout récemment deux professeurs de rhétorique américains, Corbett et Connors, ont évoqué la profonde incompréhension de leurs étudiants vis-à-vis de certaines parties de la rhétorique.

Que ces deux Américains, membres de l’élite contemporaine des spécialistes de la rhétorique, puissent écrire dans leur best-seller aux multiples rééditions « Classical Rhetoric for the Modern Student » (2) que la théorie des lieux est : « inert and unprovocative of ideas » (« inerte et improductive d’idées ») alors même que son objet est précisément la recherche des idées cela ne doit-il pas nous interpeller ?

Faisons un petit calcul. On peut raisonnablement supposer que chacun des quatre professeurs de rhétorique ci-dessus a enseigné pendant trente à quarante ans auprès d’une classe comprenant entre vingt et trente élèves. Sur ces bases, les effectifs totaux de leurs étudiants sont compris entre 2400 et 4800 individus et pour les deux professeurs américains entre 1200 et 2400 !

Même si dans le cas présent on ne peut à proprement parler d’échantillon représentatif, l’importance de ces chiffres montre bien qu’il y a de graves problèmes en ce qui concerne certaines théories de la rhétorique, a fortiori lorsque ceux-ci sont pleinement confirmés par la psychologie et par l’ergonomie.

3. L’ergonomie : « Le maximum de confort et d’efficacité pour le plus grand nombre »?

Wikipedia définit l’ergonomie comme « l’étude scientifique de la relation entre l’Homme et ses moyens, méthodes et milieux de travail, l’application de ces connaissances à la conception de systèmes qui puissent être utilisés avec le maximum de confort, de sécurité et d’efficacité par le plus grand nombre. ».

La rhétorique classique est souvent très loin du compte notamment en ce qui concerne « l’utilisation avec le maximum de confort, de sécurité et d’efficacité ».

Nous verrons que lorsqu’on passe la rhétorique au crible de l’ergonomie au moins trois parties importantes n’en passent pas l’épreuve en raison même de leur extrême complexité. Ne serait-ce que cette seule raison les rend inutilisables et inutilisées dans la pratique. Il s’agit, outre la théorie des lieux déjà citée, des syllogismes complexes et des quelque cent-quarante figures de rhétorique secondaires. Ce sont là les trois principales « usines à gaz » de la rhétorique, auxquelles il convient d’ajouter les deux plus petites unités que sont les méthodes de mémorisation et celles concernant l’exercice de la parole proprement dit.

Voici, à titre d’exemple et de « mise en bouche » les noms cacophoniques de quelques-unes de ces figures secondaires : anantapodoton, hyperhypotaxe, homéotéleute, kakemphaton, épizeuxe, épitrochasme, à moins que l’on ne préfère chiasme, synchise, ou tapinose.

4. Que reste-t-il en définitive de la rhétorique? La richesse inépuisable de ses cinq « pépites » !

A l’énumération des cinq « usines à gaz » de la rhétorique classique le lecteur est en droit de se demander ce qu’il peut rester de cette dernière et si ce qu’il en reste vaut bien la peine qu’on s’y intéresse.

Cher ami lecteur, n’aie aucune crainte ! La richesse de la rhétorique est telle que le bilan « pépites »/« usines  à gaz » demeure extrêmement positif ! Nous verrons notamment que ce qui fait la force indestructible de la rhétorique et qui la différencie des autres méthodes de communication est tout d’abord qu’elle est, à la fois méthode de pensée ET méthode de communication et ensuite que les six concepts du triangle rhétorique sur lesquels elle repose sont intemporels et universels.

Nous verrons également que par sa richesse conceptuelle inégalée la rhétorique demeure une référence en matière de communication, qu’il s’agit d’une méthode d’enchainement logique des idées toujours actuelle et enfin que les soixante principales figures de rhétorique jouent un rôle déterminant dans la compréhension du langage.

Ce sont là les cinq « pépites » de la rhétorique.

La rhétorique apparaît à travers celles-ci comme la première méthode de communication qui ait considéré cette dernière comme un système intellectuel et qui ait tenu compte des rapports indissociables entre les trois fondamentaux de la nature humaine : la raison, les valeurs, les affects et les trois langages qui  permettent de les toucher : la logique, l’éthique et la psychologie. Sa richesse est à la mesure de celle de ces six concepts : inépuisable !

5. Les cinq parties de l’étude

Au terme de cette introduction, un grand ménage des scories de la rhétorique classique semble indispensable. La définition et la sélection des cinq « pépites » et des cinq « usines à gaz » s’effectueront pour les premières par un travail de synthèse et de clarification et pour les secondes en analysant plus en détail les facteurs de non-conformité aux sciences actuelles et/ou de complexité ergonomique rédhibitoire.

Il est d’ores et déjà intéressant de noter que la simplicité et l’utilité des « pépites » s’opposent à la complexité et à l’inutilité des « usines à gaz » : « Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement »…

Cette étude comprendra les cinq parties suivantes :

Il m’a semblé indispensable de consacrer toute la première partie à une définition aussi étendue et précise que possible, multiforme, de la rhétorique. En effet, celle-ci n’étant plus couramment enseignée en France depuis plus de cent ans il n’y a que peu de publications récentes sur le sujet. Le moins qu’on puisse dire c’est que les choses ne sont pas du tout claires pour qui souhaite s’y intéresser.

Dans les deuxième et troisième parties, nous examinerons plus en détail les « cinq pépites » et les cinq « usines à gaz » de la rhétorique. Je précise à ce sujet que l’égalité de ces nombres est fortuite et ne correspond pas à un souci de parallélisme.

La quatrième partie portera sur le point essentiel qu’est la manifestation du caractère intemporel et universel de la rhétorique à travers les exemples généraux de la philosophie, de la politique, de l’économie par l’intermédiaire du marketing, et de l’outil spécifique qu’est le C.V. Point essentiel puisqu’il s’agit de la démonstration de la puissance, inégalée, de l’argumentaire rhétorique.

Enfin, dans la cinquième et dernière partie, j’aurai la témérité, l’inconscience et la prétention, malheureusement pas de la jeunesse! de proposer cinq pistes pour remédier au décrochage pédagogique de l’enseignement français. Celles-ci ont été élaborées en comparant les moyens utilisés et les résultats obtenus en matière d’enseignement en France et aux États-Unis tels que ceux-ci sont exposés dans « USA, 20.000 centres de formation à la communication ».

P.S. En complément de cette étude, on pourra consulter « Le triangle rhétorique, base de toute communication réussie ». Cet article est référencé n° 1 par Google depuis sa parution en décembre 2015. Ces deux textes permettent, à mon avis, d’avoir une vision globale assez claire de la rhétorique moderne. (Taper « triangle rhétorique ».)

 

Ire PARTIE : QU’EST-CE QUE LA RHÉTORIQUE ?

1. Aujourd’hui, Aristote est américain !

Aristote

Aujourd’hui Aristote est américain ! Dans « U.S.A. : 20.000 centres de formation à la communication » j’exposais que si la rhétorique est langue très vivante aux États-Unis, elle est, en revanche en France sinon langue complètement morte tout au moins en convalescence de très longue durée ! Dans cette étude je citais Christian Plantin, chercheur au C.N.R.S. spécialisé dans les sciences de la communication et auteur de publications sur l’enseignement de la rhétorique aux Etats-Unis. Voici ce qu’il disait de cette discipline telle qu’elle est encore souvent perçue en France :

« En France, l’opinion tient la rhétorique pour un catalogue déconnecté de figures aux noms barbares. On nous assure bien de sa fertilité pédagogique, mais pour les questions pratiques le lecteur est renvoyé à sa propre initiative ».

C’est bien là tout le drame de la rhétorique en France, car aux États-Unis l’opinion est diamétralement opposée. La rhétorique y est portée au zénith alors que dans notre pays elle a souvent encore une connotation péjorative car elle est considérée comme un simple effet de style destiné à briller superficiellement, voire à manipuler. Il est vrai qu’elle y est le plus souvent présentée de manière très académique.

On peut même dire qu’à certaines époques, la rhétorique était devenue, globalement, une «usine à gaz», non seulement par l’obsolescence de certaines de ses méthodes mais aussi par la cuistrerie (déja !) de son enseignement.  Ceci en explique en partie, la suppression en 1902, les raisons étant aussi politiques. Les hommes de gauche qu’étaient Jules Ferry et Victor Hugo estimaient, non sans quelques raisons, que la rhétorique était le principal instrument qu’utilisait la classe au pouvoir pour s’y maintenir.

Par ailleurs il faut se souvenir qu’en 1902 on était proche de la séparation de l’église et de l’état qui a eu lieu en 1905. Or celle-ci était très attachée à la rhétorique. La suppression de la rhétorique était un moyen de l’affaiblir. On peut se demander si nos chers hommes politiques n’ont pas jeté le bébé avec l’eau du bain en privant ainsi les «classes populaires» d’un excellent moyen d’émancipation. La comparaison avec les États-Unis qui ont pris quelques années plus tard la décision diamétralement opposée de développer la communication n’est-elle pas cruelle lorsqu’on voit ou cela les a conduits un peu plus de cent ans plus tard ?

Cette situation n’est pas irréversible. L’exemple pragmatique des États-Unis montre qu’on y trouve des milliers d’ouvrages et de centres de formation qui présentent la rhétorique de manière simple et opérationnelle tout en respectant les éléments fondateurs. En attendant qu’on traduise ces ouvrages et que l’on crée ces centres, je définirai quelques pistes dans cette étude.

2. La définition classique de la rhétorique : l’art de la persuasion

La définition classique de la rhétorique, sur laquelle je ne m’étendrai pas compte tenu de son caractère devenu aujourd’hui quelque peu réducteur, est l’art de la persuasion. Cette dernière s’effectue en suivant cinq étapes, à commencer par la recherche des arguments pour se poursuivre par leur mise en ordre et en style ainsi que par la mémorisation du discours, et se terminer par la phase oratoire proprement dite.

3. «La rhétorique méthode de recherche de l’expression optimale de la pensée par le langage»

Dans la synthèse de « U.S.A. : 20.000 centres de formation à la communication », j’ai proposé une nouvelle définition de la rhétorique qui est reproduite ci-dessus. En effet la définition classique est à la fois large et réductrice. Large parce que la persuasion touche tous les domaines de la vie, réductrice parce que nous ne sommes pas toujours dans la persuasion et parce que cette définition ne fait référence ni à la pensée ni au langage, deux éléments pourtant essentiels en matière de communication. La définition de la rhétorique en tant que «recherche de l’expression optimale de la pensée par le langage» me semble à la fois plus générale, plus précise et plus actuelle.

4. «La rhétorique étude de l’incompréhension et de ses remèdes» et méthode de pensée

Cette excellente définition est de Christian Plantin. Elle donne un éclairage nouveau et significatif sur l’objectif de la rhétorique. Cette dernière, avant d’être méthode de communication, est méthode de pensée. Elle vise en premier lieu à comprendre les phénomènes, à bien poser les problèmes, pour ensuite en déduire des solutions ou des remèdes et enfin seulement à les exposer. C’est là, nous le verrons, le principal point fort de la rhétorique.

5. Sciences «exactes» = «vérité». Rhétorique = vraisemblable

De tout temps, mais plus particulièrement depuis le XVIIe siècle, il y a eu opposition entre les sciences exactes et la rhétorique. Les sciences dites «exactes» : mathématiques, physique, biologie, etc. étaient considérées comme les seules qui permettaient d’atteindre la «vérité», la rhétorique ne pouvant prétendre qu’au vraisemblable. Le progrès continuel des sciences a bien failli être fatal à cette dernière qui était reléguée au rang d’«ornement de langage», jusqu’à ce que les scientifiques reconnaissent d’une part, la relativité de la connaissance scientifique, ce qui était scientifiquement  «vrai» à une époque ne l’est plus ensuite et d’autre part prennent conscience que pour faire comprendre et faire admettre une nouvelle vérité scientifique il leur faut souvent recourir à des procédés de rhétorique, tels par exemple les images ou les métaphores.

À l’inverse certaines métaphores s’appuient sur ces vérités scientifiques concrètes afin d’aider à l’expression de concepts abstraits. Les sciences et la rhétorique se nourrissent mutuellement. Ce qu’il faut retenir de ce débat c’est que le vraisemblable demeure omniprésent dans nos méthodes de réflexion, de communication et de persuasion et qu’il fait aujourd’hui bon ménage avec la vérité scientifique, en attendant, peut-être, l’infaillibilité de l’intelligence artificielle.

6. La rhétorique, «monopole» intellectuel

Je reviendrai plus en détail sur cette question essentielle dans la 2e partie au paragraphe 3 dans lequel j’évoque la rhétorique en tant que référence intellectuelle. Mais en utilisant ici cette forte expression de «monopole» intellectuel, je veux faire ressortir l’un de ses principaux points forts : le fait qu’elle soit apparemment, je l’ai abordé dans l’introduction, la seule méthode de communication qui repose sur les trois fondamentaux intemporels et universels que sont d’une part la raison, les valeurs  et les affects et d’autre part sur les trois langages qui permettent de les toucher ; la logique, l’éthique, la psychologie.

7. La rhétorique transforme l’abstraction en concret

Les philosophes grecs avaient bien compris le rôle de la psychologie en matière de communication puisque l’un des trois angles du triangle rhétorique lui était consacré, sous le nom de pathos, les deux autres portant sur le logos et l’éthos, mots que j’ai traduits, sur la base de la version en ligne du vénérable dictionnaire Bailly, par logique et éthique. C’est en fonction de ce facteur qu’ils ont élaboré les figures de rhétorique. Nombre d’entre elles  s’adressent à nos affects par l’intermédiaire de nos sens, soit notamment en matière de communication, le visuel et l’auditif. Les philosophes grecs avaient également bien compris que notre esprit préfère les images, le concret à l’abstraction. D’où le rôle très important sur le plan de la compréhension du langage et de la persuasion des figures qui utilisent les images telles que par exemple les métaphores. Cela demeure l’un des principaux apports de la rhétorique.

8. La rhétorique est la préparation écrite de la communication verbale

On pense souvent que la rhétorique se confond avec la phase oratoire, la prise de parole, ce qui est tout à fait inexact. Il  faut distinguer l’ « art oratoire » qui englobe les cinq parties ou étapes de la rhétorique et la « phase oratoire » qui n’est que la cinquième. Nous avons vu plus haut que les trois premières sont la recherche des arguments et des idées, leur mise en ordre et en style. Ce sont les trois étapes de la préparation écrite de la phase oratoire, la quatrième  étant  celle de la mémorisation.

La rhétorique stipule que le discours prononcé lors de la phase oratoire doit être, au préalable, intégralement écrit, quitte à s’en écarter plus ou moins lors de sa prononciation. Les trois phases écrites sont essentielles, car l’écrit oblige à la rigueur, à la précision. Diverses études montrent à ce sujet que la communication verbale spontanée utilise des phrases nettement plus courtes et nettement moins structurées et précises que l’écrit, ce qui pourrait poser problème à l’orateur s’il ne passait pas d’abord par la phase écrite.

Cette nécessité intellectuelle de la phase préparatoire écrite est donc primordiale. Il n’est pas opportun, de ce fait, à mon avis, de suivre une formation à la prise de parole en public si l’on ne maîtrise pas les phases de la préparation écrite. Ce serait, comme je l’écrivais dans un autre article (cf. Le triangle rhétorique, base de toute communication réussie) :

«S’inscrire à l’une des multiples formations à la communication, notamment à la prise de parole en public, sans y apprendre auparavant à maîtriser cette phase préparatoire serait un non-sens, mettre la charrue devant les bœufs, comme si on voulait parler une langue sans en connaitre ni l’orthographe, ni la grammaire, ni la syntaxe !»

9. La théorie psychanalytique invalide un concept important de la rhétorique : la théorie des lieux.

Sigmund Freud

Selon la théorie psychanalytique, que valide tout à fait la pratique de l’écriture ou de la parole, l’un des principaux modes de fonctionnement de l’esprit humain est, on le sait, l’association des idées. Cette théorie invalide, nous le verrons dans la troisième partie, la théorie des lieux rhétoriques, théorie qui est pourtant encore considérée par certain auteur comme « l’un des concepts les plus importants » de cette discipline. En effet cette théorie porte sur la question essentielle qu’est la recherche et la découverte des arguments et des idées, tâche qui constitue, on l’a vu, la première des cinq étapes de la rhétorique. C’est donc l’un piliers de la rhétorique qui est mis en question.

Nous verrons par ailleurs que par sa complexité, la théorie des lieux s’oppose à toute utilisation pratique, à la différence de la théorie psychanalytique. La théorie des lieux fait partie, à mon avis, des «usines à gaz» de la rhétorique qu’il convient d’éliminer, tout en conservant précieusement par ailleurs les «pépites».

10. Une rhétorique à deux niveaux : théorique et pratique

On peut estimer qu’il y a, aux États-Unis, une rhétorique à deux niveaux, l’une est celle de la rhétorique théorique, l’autre celle de la rhétorique pratique. La rhétorique théorique serait, on l’a dit, l’apanage des lettrés, des chercheurs, des enseignants. Ces derniers souhaiteraient le préserver tant pour des raisons intellectuelles : formation, tradition, intérêt pour le sujet, élitisme, ou d’autres raisons de même ordre, que purement pratiques et/ou matérielles. Il en résulterait un certain immobilisme, une crainte de troubler l’ordre établi, le désir de conserver en l’état l’héritage des philosophes grecs, en somme un certain refus, classique, du changement.

Parallèlement, il existe une rhétorique plus courante, généralement qualifiée de pratique ou d’utilitaire, qui est, le plus souvent, celle de nombreux organismes de formation à la prise de parole en public. Le plus important est, on l’a vu dans « U.S.A. 20.000 centres de formation à la communication », Toastmasters international. Lorsqu’on consulte le programme de cet organisme on constate que celui-ci s’inspire manifestement de la rhétorique, qu’il en conserve précieusement ce que j’appellerai plus loin les «pépites», mais qu’il en élimine les «usines à gaz» c’est-à-dire, on le verra, les parties de la rhétorique trop complexes, obsolètes ou en contradiction avec les sciences cognitives.

Tout se passe comme si, officiellement, la rhétorique théorique conservait toute sa place, mais qu’officieusement la rhétorique pratique tendait, très progressivement, à la supplanter. Je suivrai, pour d’autres raisons, que j’exposerai plus loin, la même voie et la rhétorique pratique sera le seul objet de cette étude.

En France, cette dernière est parfois considérée avec quelque dédain par les « lettrés», bien à tort à mon humble avis si l’on considère les médiocres résultats de l’enseignement français et notre incapacité à valoriser certaines de nos découvertes, exploitées alors ailleurs, aux USA par exemple!

11. La rhétorique au quotidien : l’art d’écrire et de parler dans les relations personnelles et publiques

La rhétorique, une fois débarrassée de ses scories d’origine ou accumulées au cours des siècles, est une discipline dont les bases sont, on le verra plus loin, assez faciles à maîtriser. La connaissance de celles-ci permet largement de faire face aux principales difficultés en matière de communication et, ce qui n’est pas moins important, de le faire avec plaisir. Comme le montre une consultation du site web d’Amazon U.S.A., on trouve dans ce pays des milliers d’ouvrages de cette catégorie consacrés par exemple à l’art de bien écrire ou de bien communiquer.

Voici ce que disent de la rhétorique pratique Corbett et Connors, les deux professeurs de rhétorique cités dans l’introduction :

«Rhetoric is an inescapable activity in our lives. Every day, we either use rhetoric or are exposed to it. Everyone living in community with other people is inevitably a rhetorician. A parent constantly uses rhetoric on a child; à teacher on his or her students; a salesperson on customers, a supervisor on worker…In front of a television we are subjected three or four times to somebody’s effort to get us to buy something»

« La rhétorique est une activité à la quelle on ne peut échapper. Chaque jour soit nous utilisons la rhétorique, soit nous y sommes exposés. Tout individu vivant en communauté est inévitablement un rhétoricien. Un parent utilise constamment la rhétorique vis à vis d’un enfant; un enseignant vis à vis de ses élèves; un vendeur vis à vis des clients, un contremaitre vis à vis d’un ouvrier…En présence de la television nous sommes confrontés trois ou quatre fois à des incitations à nous faire acheter quelquechose.

12. La rhétorique, joie de l’esprit!

Les mêmes auteurs terminent ainsi l’introduction de leur ouvrage, que je ne saurai trop conseiller à tous ceux qui s’intéressent à la rhétorique :

«There can be few satisfactions in life that can match the pride a person feels when he or she has attained mastery over words».

«(Il y a peu de satisfactions dans la vie qui puissent égaler la fierté que ressent une personne quand il ou elle a atteint la maitrise des mots»)

On apprécie encore mieux la pertinence de cette citation lorsqu’on l’inscrit dans une pensée de la psychanalyste Françoise Dolto, pensée qui résume parfaitement, à mon avis, l’essentiel de la nature humaine et qui est en soi, par sa concision, sa précision et sa justesse une merveille de communication :

«L’homme est essentiellement un être de langage et son désir essentiel est la communication. Nous n’existons que parce que nous sommes reconnus par d’autres et ceux-ci n’ont, à leur tour, d’existence que parce que nous les reconnaissons et que nous nous retrouvons en eux à la fois semblables et autres».

 

IIe PARTIE — LES CINQ PEPITES DE LA RHETORIQUE

1. Une combinaison magistrale : la rhétorique méthode de pensée ET méthode de communication

J‘insiste sur ce sujet parce qu’il est, à mon avis, essentiel. La grande originalité de la rhétorique par rapport à des méthodes de communication lambda est qu’elle est, à la fois, méthode de pensée ET méthode de communication. Ceci ne devrait pas surprendre puisque pensée et communication sont indissociables. C’est une nouvelle manifestation du génie des philosophes grecs que d’avoir clairement tenu compte de cette corrélation.

La problématique, fondamentale, des rapports entre la rhétorique méthode de pensée et méthode de communication mériterait de longs développements. Elle n’est pas fréquemment étudiée. On constate, par exemple, de manière vraiment très surprenante, qu’on ne trouve dans aucun des trois dictionnaires français, Larousse, Robert, Littré une définition de la communication qui établisse la relation entre pensée, communication et contenu.

Dans le même ordre d’idées, le mot «pensée» ne figure même pas dans l’index pourtant très détaillé de la somme que constitue «L’histoire de la rhétorique dans l’Europe moderne» (3), ni le mot « contenu» et, parallèlement on n’y trouve que de très succinctes références au regard du mot «communication».

La corrélation fondamentale entre rhétorique [ou communication] et pensée n’échappe pourtant pas à certains auteurs de cet ouvrage collectif, et elle est sans doute au moins implicitement partagée par les autres. Ainsi, Fernand Hallyn, professeur à l’université de Gand pose-t-il, à la page 644, la question à un milliard de dollars :

« Qu est ce que un art de persuader, s’il n’est pas aussi un art de penser ? »

À défaut d’avoir à l’esprit la citation d’un spécialiste des sciences cognitives, je partagerai avec vous un vers de Boileau, dans l’Art poétique, qui exprime selon moi, admirablement bien tout ceci. Non, il ne s’agit pas du vers bien connu :

« Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement et les mots pour le dire arrivent aisément»

que je ne conteste pas, bien au contraire, mais du vers qui le précède immédiatement :

«Avant d’écrire ou de parler, apprenez à penser. Selon que notre pensée est plus ou moins obscure, notre communication sera plus ou moins claire.»

Sachant que selon Aristote lui-même « la clarté est la principale qualité de la communication ».

On trouvera dans le « Florilège des citations » de ce blog, sous le thème «Définition de la communication » d’autres citations de grands auteurs qui vont tout à fait dans le même sens.

La position classique est de considérer la rhétorique comme une simple méthode de communication et non comme une méthode de pensée. Cette position qui est reconduite en matière de communication semble réductrice à la lumière des sciences cognitives. Ces dernières montrent qu’il est impossible de dissocier pensée, langage et communication.

La communication en tant que contenu est, à l’évidence, le produit de la pensée. La pensée est première, la communication seconde. La communication ne peut être, à l’évidence, un quelconque placage artificiel sur un vide intellectuel! Il semble de ce fait impossible d’élaborer une méthode de communication, sans y intégrer les mécanismes de la pensée et sans la baser sur ces derniers. C’est, manifestement et nécessairement, ce qu’ont fait les philosophes grecs lorsqu’ils ont élaboré la rhétorique, comme le montre ce qui suit. Ils ont en quelque sorte calqué la rhétorique sur les méthodes de pensée.

1.1. La rhétorique est globalement structurée en schémas de pensée

La rhétorique classique s’élabore on l’a déjà dit brièvement, en cinq étapes principales : inventio (trouver les arguments, les idées), dispositio (les mettre en ordre), élocutio (adapter le style du texte écrit au style de la verbalisation), memoria (mémoriser le texte), actio (l’action oratoire proprement dite). Celles-ci demeurent les bases de l’organisation de la rhétorique, bases qu’on retrouve aujourd’hui dans la communication. Elles sont encore d’une grande utilité à qui veut bien les utiliser.

Lorsqu’une communication est bancale, ne fonctionne pas bien, on constate que c’est souvent parce que l’une ou plusieurs des trois premières étapes, les plus importantes, sont déficientes. Par rapport à une méthode générale de pensée comme la logique, ces étapes sont fondées sur ce que l’on pourrait appeler des schémas de pensée, à caractère logique : schémas de pensée pour trouver les arguments, les idées, schémas de pensée pour les mettre en ordre, schémas de pensée pour élaborer le style, schémas de pensée pour la mémorisation, schémas de pensée pour l’action oratoire proprement dite.

Lorsqu’on élabore une communication en suivant ces cinq étapes de la rhétorique on utilise, ipso facto, ces schémas de pensée et c’est là l’une des grandes originalités et forces de celle-ci.

Il en est de même pour les cinq parties du discours rhétorique : l’introduction, l’exposé des faits, la confirmation ou la preuve, la réfutation et la conclusion

1.2. Les figures de rhétorique sont elles aussi, en tant que définitions, des schémas de pensée.

Nous ne pensons pas, nous ne voyons pas seulement les choses sous le seul angle de la logique. Nous pensons, nous voyons aussi les choses sous les deux autres angles du triangle rhétorique, triangle équilatéral soulignons-le, c’est-à-dire sous l’angle de l’éthique et sous celui de la psychologie.

En matière de logique et de psychologie, les figures de rhétorique sont d’une grande utilité. On en dénombre environ deux cents, mais on n’en utilise couramment qu’une soixantaine. Parmi les plus connues et les plus utilisées, on peut citer les métaphores, les anaphores, les parallélismes, les antithèses. On peut comparer ces figures à des schémas de pensée qui permettent d’orienter notre pensée sous différents angles : par exemple selon la logique avec les figures dites de pensée (insistance, opposition, réticence, conséquence, etc.), ou encore selon la psychologie, avec les métaphores, les analogies, les métonymies ou autres.

Ces figures, souvent complexes, ne sont pas tombées du ciel comme des alouettes toutes rôties dans la bouche des philosophes et des orateurs grecs! Leur identification et leur définition les unes par rapport aux autres n’ont vraisemblablement pas été une mince affaire, sachant qu’il existe souvent des similitudes ou des nuances parfois ténues entre elles. Nul doute qu’elles ont été mûrement réfléchies et mûrement élaborées de manière à permettre «l’expression optimale de la pensée».

Nous verrons plus loin que les définitions ont, d’une manière générale, un rôle capital en matière d’argumentation. Elles constituent un élément essentiel de la théorie des lieux, par ailleurs très contestée sur d’autres points. Quand nous utilisons ces figures de rhétorique très précisément définies, ne structurons-nous pas, consciemment ou inconsciemment, notre pensée, n’appliquons-nous pas, en fait, une méthode de pensée ?

1.3. Les critères de l’éthique influent sur nos pensées et sur notre comportement

En revanche il n’y a pas de figures de rhétorique à proprement parler en ce qui concerne l’éthique. Mais les critères d’éthique et de morale sont fortement inscrits dans notre mémoire collective même si la pratique religieuse en occident a fondu comme neige au soleil. On sait que l’orateur grec ou romain devait être un homme de bien, un homme intègre qui mettait son talent au service de la société. Et par la suite, sous l’influence notamment des grandes religions monothéistes nous avons continué, plus ou moins consciemment, à penser, à voir aussi les choses sous l’angle de l’éthique ou de la morale en fonction de critères bien précis que l’on retrouve d’une religion à l’autre, d’autant que certains de ces critères figurent encore dans la loi de la plupart des pays : « Tu ne tueras point », « Tu ne voleras point »,« Tu ne mentiras point »

Pour l’ensemble de ces raisons, il semble clair que toute méthode de communication est avant tout, à l’origine, ou devrait être, une méthode de pensée et la rhétorique étant une méthode de communication… je vous laisse compléter le syllogisme. Le problème de nombre de «méthodes» de communication c’est qu’elles ne reposent pas sur des méthodes de pensée, mais sur des a priori ou sur des habitudes intellectuelles.

2. Un trésor psychologique et linguistique : les trois fondamentaux et les trois langages de la rhétorique

3.1. Les trois fondamentaux : la raison, les valeurs, les affects

La solidité et l’efficacité de la rhétorique résultent de ce qu’elle n’est pas fondé sur de quelconques idées toutes faites, sur de quelconques a priori, sur de quelconques idéologies ou utopies pédagogiques, sur de quelconques habitudes intellectuelle mais sur ce que l’on pourrait appeler pour simplifier les trois fondamentaux de la nature humaine c’est à dire sur nos trois modes de perception de la réalité ou formulé différemment sur nos trois processus cognitifs/communicatifs (cf. Le triangle rhétorique, base de toute communication réussie)Ces trois fondamentaux sont la raison, les valeurs, les affects.

3.2. Les trois langages : la logique, l’éthique, la psychologie

Le génie des philosophes grecs est non seulement d’avoir clairement identifiés ces trois fondamentaux de la nature humaine mais aussi d’avoir clairement défini les trois langages qui permettent, respectivement, de les toucher. Par la logique la rhétorique touche la raison, par l’éthique les valeurs, par la psychologie les affects.

Sciences humaines et neurosciences n’ont rien apporté de vraiment nouveau sur ces six concepts de la rhétorique que les philosophes grecs avaient, eux, bien identifiées de manière empirique il y a plus de 2000 ans.

Il faut bien voir qu’à leur époque, la communication était essentiellement verbale. L’orateur qui intervenait à l’Agora ne disposait pas de notes et il devait avoir entièrement mémorisé son discours. Pour que ce discours soit facilement mémorisable, il fallait nécessairement qu’il soit élaboré de manière très méthodique, très structurée, très précise, très claire, en somme en fonction des cinq divisions du discours. C’est sans doute cette très forte contrainte qui a obligé les philosophes grecs à élaborer la méthode de communication très fiable qu’est la rhétorique, si fiable que nombre de ses concepts, de ses méthodes, de ses règles et de ses figures ont traversé les millénaires même si, très naturellement, elle a subit par ailleurs les outrages du temps.

3. Une richesse conceptuelle exceptionnelle qui en fait une référence incontournable en matière de communication

Cicéron
Cicéron

La rhétorique demeure aujourd’hui, contre vents et marées, malgré l’apport des sciences cognitives, malgré la percée de l’intelligence artificielle, la mère de la communication. Le démontre clairement « U.S.A. : 22.000 centres de formation à la communication ».

L’une des forces de la rhétorique est qu’elle contient un corpus de près de trois cents définitions, dont une centaine concernant la méthode proprement dite et environ deux cents les figures de style. On sait que lorsqu’une chose n’est pas nommée, lorsqu’elle n’est pas définie, elle n’existe pas. De ce fait, la rhétorique devrait toujours constituer, par cette richesse conceptuelle inégalée, la référence incontournable pour élaborer et évaluer toute communication.

Quelle que soit la discipline pratiquée, il ne semble guère possible d’étudier un problème de langage ou de communication sans faire référence à la rhétorique et sans l’intégrer. Christian Plantin évoque le sujet en d’autres termes : «la validité permanente de la problématique rhétorique». C’est bien là un point essentiel.

4. Une méthode toujours actuelle d’enchaînement logique des idées

4.1. Un concept omniprésent dans la rhétorique

Nous avons vu plus haut que le point fort de la rhétorique c’est qu’avant d’être méthode de communication elle est méthode de pensée. On retrouve ce concept de méthode de pensée et corrélativement d’enchaînement logique des idées dans les trois premières parties de la rhétorique et dans les cinq étapes du discours rhétorique, c’est à dire dans une grande partie de la discipline.

On se souvient que les trois premières parties de la rhétorique sont la recherche des arguments ou des idées, leur mise en ordre, et l’élaboration du style. Les cinq étapes du discours sont, elles, l’introduction, l’exposé des faits, la digression, la réfutation et la conclusion.

L’essentiel de ce qu’il faut retenir, à mon avis, de ces différentes étapes de la rhétorique et du discours rhétorique c’est précisément la notion, assez souvent oubliée ou négligée, chez les étudiants et les professionnels, d’étape de pensée, de structuration et de suite logique des idées, notion qui doit être presque toujours matérialisée par l’élaboration d’un plan et/ou d’un sommaire, ce qui est loin d’être toujours le cas.

Aller du général au particulier, de ce qui est important à ce qui est secondaire, de ce qui est familier à ce qui est inconnu sont des concepts généraux qui nourrissent la rhétorique et demeurent tout à fait d’actualité. Il est donc des plus utiles d’en connaitre de manière précise les modalités d’application. J’ai déjà dit  que lorsqu’une communication est bancale, c’est le plus souvent parce que l’on a sauté ou mal construit l’une des étapes ci-dessus.

4.2. Les trois méthodes de persuasion

On se souvient que la définition classique de la rhétorique en tant qu’art de la persuasion repose sur trois méthodes ou langages : la logique, l’éthique, la psychologie. La logique est essentielle. Un discours pourra être conforme à l’éthique et à la psychologie, s’il est nul sur le plan de la logique il perdra toute force de persuasion. Plus spécifiquement, et sans que cette liste soit limitative, on retrouve la logique dans des concepts tels que le syllogisme et dans l’une des catégories de la théorie des lieux rhétoriques qui est celle de la définition.

Inversement un discours parfaitement logique mais qui violerait manifestement l’éthique perdrait toute crédibilité, comme on a pu le constater lors de la dernière élection présidentielle.

De même une communication strictement logique et éthique s’avèrera d’une grande sécheresse psychologique dans la mesure où elle ne touchera pas les affects. C’est là où les figures de rhétorique, les grandes oubliées de l’art oratoire d’aujourd’hui, jouent pleinement leur rôle, notamment les métaphores et les images. Les figures de rhétorique ne sont pas de simples ornements du langage, comme on a voulu les réduire à certaines époques, mais bien au contraire des clés qui en facilitent la compréhension.

4.3. L’importance fondamentale des définitions

C’est cette notion, peu connue, semble-t-il, de définition qui sur le plan de la persuasion semble être l’une des plus efficaces. On a vu que tant qu’une chose n’est pas nommée, n’est pas définie, elle n’existe pas. Toute une partie de l’élaboration d’une communication consistera donc à nommer, à définir de manière aussi précise que possible les sujets, les questions, les problèmes, les concepts, les objectifs, les résultats escomptés, etc., sur lesquels porte cette communication. La rhétorique, dont l’objet est d’élaborer un message qui soit vraisemblable, utilise pour ce faire différentes formes de définitions dont la connaissance est déterminante en ce qui concerne l’efficacité de ce message, tels l’exemple, le synonyme, l’étymologie, la description étendue.

Selon Antony Robbins, formateur international, spécialiste en P.N.L. (Programmation-Neuro-Linguistique), auteur de nombreux best sellers dont « Pouvoir Illimité«  (4), la précision, qualité essentielle des définitions, est souvent négligée en matière de communication. L’auteur consacre un chapitre entier de cet ouvrage à ce sujet, chapitre intitulé « Le pouvoir de la précision », d’où est extrait ce passage :

«La réussite dépend en partie de la précision avec laquelle nous nous exprimons…Grinder et Bandler ont remarqué que tous les gens qui réussissent ont le don de la précision. Un bon P.D.G. doit savoir traiter l’information. Les meilleurs semblent avoir un certain génie dans ce domaine. Ils savent aller rapidement au coeur de l’information et communiquer aux autres ce qu’ils ont appris. Ils se servent de phrases et de mots qui transmettent avec une grande précision ce qu’ils ont appris».

5. L’importance fondamentale des soixante principales figures de rhétorique dans la compréhension du langage

Ce qui concerne le style est parfois considéré comme un apport mineur de la rhétorique, un simple ornement de langage comme les figures de rhétorique. Il me semble, au contraire, qu’il s’agit d’un apport majeur, car de nature psychologique et que la rhétorique est la seule à développer d’une manière aussi riche. Or, le style est une question souvent négligée à notre époque. La notion de plaisir, au-delà de l’ergonomie, est une notion essentielle en matière de style, comme le dit bien Houdard de la Motte :

« L’ennui naquit, un jour de l’uniformité».

Il ne faut jamais oublier que pour qu’une communication soit pleinement efficace celle-ci doit s’adresser de manière équilibrée, c’est-à-dire en fonction du sujet traité et du public visé, à nos trois modes de perception de la réalité. Les figures de rhétorique et autres procédés de style ont été conçus de telle manière qu’ils permettent de s’adresser à ces trois modes de perception. Nombre de figures de rhétorique procèdent de la logique et permettent de s’adresser à la raison. Nombreuses aussi sont celles qui procèdent de la psychologie et permettent de toucher les affects.

Raymond Loewy
Raymond Loewy

La titre célèbre de l’ouvrage de Raymond Loewy, père du design, peut aussi bien s’appliquer au style :

«La laideur se vend mal !»

Ceci ne concerne pas seulement le domaine littéraire mais la plupart des domaines d’activité. Pour prendre l’exemple du C.V. je pose souvent la question aux participants de l’atelier que j’anime :

« A votre avis, comment réagirait un recruteur s’il recevait un C.V. négligé dans sa forme, mal structuré, imprécis, peu clair, manquant de faits et de chiffres ? »

La réponse est dans la question. D’après les recruteurs, un tel C.V., qui n’est malheureusement pas aussi rare qu’on peut le penser, va directement à la corbeille, sans même être lu.    

 

IIIe PARTIE – LES CINQ USINES A GAZ DE LA RHETORIQUE

1. La principale : la théorie abracadabrantesque des lieux communs et spéciaux

1.1. Le concept de lieux rhétorique : trouver des idées quand aucune ne vient spontanément à l’esprit !

Le concept de lieux, est  encore considéré par certain auteur contemporain comme « le concept le plus important de la rhétorique» (5), ce qui m’oblige nécessairement à m’expliquer tout en ne me passionnant guère, sur l’exclusion que j’en fais. Voici ce qu’en dit en 1855, époque où la rhétorique était pourtant encore : « le couronnement idéal des humanités classiques»  dans une thèse soutenue à la faculté des lettres de Paris, Eugène Thionville, ancien élève de l’École normale, «professeur de rhétorique au lycée impérial de Limoges» (6) :

« Son ouvrage (en parlant des Topiques d’Aristote, ouvrage dont les lieux communs et spéciaux constituent la partie essentielle) malgré son incontestable mérite est souvent trop compliqué et trop savant pour bien des apprentis orateurs».

On ne saurait mieux dire! Les lieux, qu’ils soient communs ou spéciaux, appartiennent à la première partie de la rhétorique, l’inventio, dont l’objet est, on s’en souvient, de trouver les arguments, les idées.

Les lieux ont été conçus par les rhétoriciens pour permettre, en théorie, à l’orateur de trouver des idées même s’il ne lui en vient spontanément aucune à l’esprit, ce qui en soi semble déjà une idée assez curieuse ! Formulés de manière imagée par Corbett et Connors, les lieux seraient en quelque sorte des «suggesters», des «prompters», des «initiators», des «checklists». Ces derniers sont peut-être utiles, en tant qu’éléments de contrôle, de «checklists» donc a posteriori, mais certes pas, à mon avis, comme générateurs d’idées, sauf l’important concept de définition dont je viens de parler dans les «pépites» de la rhétorique et celui, également important, de l’exemple.

Les lieux communs comprennent les cinq catégories principales suivantes : définition, comparaison, corrélation, circonstances et témoignages. Celles-ci se subdivisent elles-mêmes en dix-sept sous-catégories. Par exemple, la catégorie principale «comparaison» se subdivise entre les trois sous-catégories de «similitude», de «différence», et de «degré». Et ainsi de suite pour les quatorze autres sous-catégories appartenant aux quatre autres catégories. Quant aux lieux spéciaux, on n’en connait pas exactement le nombre, car ce dernier varie en fonction des auteurs et du sujet traité.

En critiquant la théorie des lieux, je crains d’apparaître comme un barbare, comme un iconoclaste s’attaquant à l’institution sacrée qu’est la rhétorique! On peut néanmoins faire, me semble-t-il, à la lumière des sciences cognitives, au moins trois critiques fondamentales en ce qui concerne cette théorie, sachant que, je le rappelle, et ceci est très important, on se situe ici dans l’optique d’une rhétorique pratique. Premièrement, la théorie des lieux est très complexe et, de ce fait, inutilisée dans la pratique. Secondement et c’est là la critique la plus grave : il s’agit d’une théorie en contradiction frontale avec les processus psychologiques. Troisième et dernière critique, elle aussi importante, la catégorie des lieux est, à mon avis, en contradiction directe avec une autre catégorie d’outils rhétoriques qui est, elle, très performante : les figures de rhétorique

1.2. Une théorie très complexe et inutilisée dans la pratique

Les lieux sont des concepts très abstraits puisqu’ils reposent sur la généralisation maximale de la pensée. Pour répondre à leur objectif, trouver les arguments ou les idées, il faudrait que l’orateur ait constamment et très précisément en tête les dix-sept subdivisions des lieux communs et un certain nombre de lieux spéciaux, dans l’espoir que de ce magma sortent des idées. Cela semble tout à fait irréaliste! Il faudrait, en effet, pour ce faire que l’orateur soit en quelque sorte doté d’un cerveau comparable à un ordinateur et que grâce à celui-ci il analyse et synthétise un nombre considérable d’informations, en supposant que celles-ci existent, les compare, les croise entre elles, etc

Quintilien

De ce fait, en quarante ans de carrière dans le marketing et la communication, je n’ai jamais entendu dire que qui que ce soit les ait utilisés et je ne l’ai jamais fait moi-même! Ceci ne m’a jamais empêché de trouver des idées! J’aurais été bien ennuyé s’il avait fallu que je rédige cette étude en utilisant la théorie des lieux! Celle-ci n’aurait jamais vu le jour ! Cette non-utilisation des lieux rhétoriques due à leur complexité n’est-elle pas déjà, à elle seule, une raison suffisante pour les ignorer ?

Il est d’ailleurs assez cocasse de constater que Quintilien lui-même, l’un des trois principaux rhétoriciens avec Aristote et Cicéron, avait remarqué que ses étudiants étaient beaucoup plus à l’aise dans l’association d’idées que dans la théorie des lieux, ce qui ne l’avait pas empêché de continuer à l’enseigner! Mais il y a une raison encore plus grave en ce qui concerne la non-fonctionnalité de la théorie des lieux : elle est en contradiction frontale avec la théorie psychanalytique.

1.3. Une théorie en contradiction frontale avec la théorie psychanalytique

Les lieux rhétoriques ne correspondent pas du tout au fonctionnement de notre cerveau. Les philosophes grecs ne connaissaient pas les sciences cognitives, notamment la psychologie. Tout en ayant fait, empiriquement des découvertes fondamentales sur la communication, ils ont commis en même temps, du fait de cette ignorance, certaines erreurs. Au vu des sciences cognitives, notamment de la théorie psychanalytique, il semble bien que la théorie des lieux en soit une majeure. Celle-ci montre, en effet, que l’un des principaux processus de fonctionnement de notre cerveau est l’association des idées.

Dans la pratique, les arguments ou idées nécessaires à l’élaboration d’un texte proviennent de deux catégories de sources : internes et externes. La source interne est celle des informations que nous avons accumulées tout au long de notre vie : formation, éducation, expérience personnelle et professionnelle, en somme de notre culture. Ainsi Quintilien considère-t-il comme primordiale la formation de l’orateur. Les sources externes sont celles des bibliothèques, de la presse, des médias, etc.

Pour ne parler ici que de la source interne, c’est là où le bât blesse en ce qui concerne la théorie des lieux. Il est clair que pour que l’association d’idées puisse fonctionner il faut nécessairement qu’il existe dans le cerveau de l’orateur un stock préexistant d’idées! Penser, comme l’on fait les philosophes grecs que lorsque l’orateur n’a pas d’idées sur un sujet donné, il peut en faire jaillir ex nihilo à partir de la construction artificielle qu’est la théorie des lieux, c’est ignorer le fonctionnement de notre cerveau et plus particulièrement le phénomène essentiel qu’est l’association des idées.

Tout en ayant été deux professeurs de rhétorique au niveau universitaire très connus et respectés, Corbett et Connors reconnaissaient eux-mêmes l’improductivité de ces derniers en tant que générateurs d’idées, sans cependant aller jusqu’à en donner l’explication psychanalytique et, par conséquent, sans conclure sur leur inutilité :

«One of the problems with the topics…as categories of headings, like definition, similarity, difference is that they tend to just sit there inert and unprovocative of ideas. Consequently, students are at a loss as to how to get the topics to turn up ideas for them on some subject»

« L’un des problèmes que posent les lieux en tant que catégories générales, comme la définition, la similitude ou la différence est que, [devant l’étudiant] ils restent plantés là, inertes et improductifs d’idées. En conséquence les étudiants sont complètement perdus pour obtenir que les lieux leur donnent des idées sur un sujet».

« Inertes et improductifs d’idées» Je laisse ces mots de la fin aux deux professeurs. N’avons-nous pas là, pour qui ne serait pas convaincu de leur existence, le parfait exemple de l’une des «usines à gaz» de la rhétorique?

1.4. Une théorie en contradiction avec les figures de rhétorique

Enfin, la théorie des lieux est, à mon avis, en contradiction avec une autre catégorie d’outils rhétoriques qui est, elle, très performante : les figures de rhétorique. On a vu dans la deuxième partie que l’un des principaux apports de la rhétorique est celui des schémas de pensée que sont les figures de rhétorique et que l’efficacité de l’une des principales catégories d’entre elles, les images et les métaphores, résulte de ce que celle-ci permet de passer de l’abstraction au sensible et au concret, ce qui plait beaucoup plus à notre esprit. En prétendant, à tort, qu’il existe une autre source que l’association des idées pour trouver ces dernières, la théorie des lieux est, à mon avis, la cause d’une grande confusion et de pertes d’énergie, de temps et d’efficacité considérables.

C’est, à mon avis, ce genre de dérive qui a fait considérer la rhétorique, à certaines époques, comme une «usine à gaz» et qui a été, en France tout au moins, l’une des causes de sa suppression. On remarque, à l’inverse, qu’aux États-Unis le principal réseau de formation à la communication verbale qu’est Toastmasters International, a construit son programme en le basant pour une bonne part sur la rhétorique, mais en se gardant bien de sombrer dans de tels errements.

Toutes choses égales, la théorie des lieux en matière de rhétorique ne ressemble-t-elle pas à la théorie de la génération spontanée à laquelle on croyait en matière de biologie avant l’arrivée de Pasteur? La théorie des lieux en rhétorique, c’est celle de la génération spontanée des idées!

2. Les syllogismes complexes

Socrate
Socrate

Le syllogisme, est souvent considéré comme l’un des éléments emblématiques de la rhétorique. Celui concernant Socrate est un classique du genre :« Tous les hommes sont mortels, Socrate est un homme, donc Socrate est mortel ». Ce n’est pas ce type de syllogisme simple que j’incrimine, celui-ci a son utilité, quoique limitée, mais les syllogismes complexes qui en sont le développement et sur lesquels on peut avoir de sérieux doutes en ce qui concerne leur utilité pratique en raison même de leurs complexité. Voici d’ailleurs ce qu’en disent Corbett et Connors dans leur ouvrage de référence :

« People in real life rarely argue in a strict syllogistic form » (« Dans la vie réèlle on utilise rarement la forme syllogistique »).

Ce qui n’empêche nullement les deux auteurs de consacrer pas moins de vingt-quatre pages à ce mode de persuasion « rarement utilisé » ainsi qu’à son cousin l’enthymème !

Ce que l’on peut reprocher à cette approche, commune à la plupart des spécialistes de la rhétorique, c’est de mettre sur le même plan le bon grain et l’ivraie de cette discipline ou si l’on préfère les « pépites » et les « usines à gaz ». Ils entretiennent ainsi la confusion entre les méthodes de la rhétorique qui demeurent extrêmement utiles aujourd’hui et celles qui sont de très peu d’utilité, périmées ou invalidées par les sciences modernes. Comme souvent, les « usines à gaz » sont – est-ce l’effet du hasard ? beaucoup plus complexes et de ce fait beaucoup moins claires que les « pépites ». De ce fait, le néophyte qui s’intéresse à la rhétorique est vite découragé et dissuadé.

3. Les quelques cent-quarante figures de style secondaires,

On dénombre environ deux cents figures de rhétorique. Mais en analysant un certain nombre de textes et de discours d’orateurs contemporains célèbres tels les présidents Obama « Yes we can » et Kennedy (« Ich bin ein Berliner ») ainsi que le pasteur Martin Luther King (« I have a dream ») ,j’ai constaté que ces derniers n’en utilisaient qu’une soixantaine, notamment les figures de pensée et les figures d’animation telles la métaphore et les images.

Ces soixante figures couramment utilisées sont celles dont les effets logiques ou psychologiques sont manifestes, comme par exemple les anaphores ou les métaphores . Si l’on se réfère aux discours des orateurs ci-dessus celles-ci apparaissent comme largement suffisantes pour faciliter la compréhension de textes déjà assez complexes et a fortiori ceux que l’on peut ranger dans la rhétorique pratique.

A l’inverse, l’usage de ce que j’appelle les cent-quarante figures secondaires semble réservé, en raison de leur subtilité, des nuances ténues qui peuvent exister entre elles, aux écrivains, aux lettrés, aux spécialistes de la rhétorique.

4. Une méthode mnémotechnique obsolète

On a vu que dans l’antiquité gréco-romaine la mémorisation du discours était un passage obligé de la rhétorique en raison de l’absence de supports matériels et que celle-ci en constituait la quatrième partie, la cinquième étant celle de la prise de parole proprement dite.

La principale méthode mnémotechnique utilisée alors était celle des loci ou méthode des lieux ou emplacements, à ne pas confondre avec la méthode des lieux communs. Appelée plus tard méthode du Palais de la mémoire, celle-ci consistait à associer chacune des parties ou sous parties d’un discours tout d’abord à l’une des pièces d’un édifice, maison ou palais, puis à l’intérieur de cette pièce à un emplacement précis de cette dernière par exemple l’un des angles, une statue, ou encore une cheminée.

Cette méthode est efficace et elle est parfois encore utilisée. Elle comporte néanmoins deux inconvénients majeurs qui la rendent obsolète. Le premier est qu’elle demande un travail de mémorisation important et long qui se surajoute au travail de rédaction, lequel comporte lui même ses contraintes. On voit mal un cadre d’entreprise, par exemple, accepter une telle surcharge de travail. On retombe ici dans la même caractéristique commune aux différentes « usines à gaz »: leur complexité et leur lourdeur concomitante, laquelle constitue en général à elle seule un inconvénient rédhibitoire.

Le deuxième inconvénient est que sur le plan technique cette méthode est supplantée par les méthodes mnémotechniques modernes. Celles-ci utilisent en général des logiciels d’aide à la communication tels que MindMap. Il n’est pas possible de décrire ici dans le détail ce type de logiciel lequel est couramment utilisés dans les pays anglo-saxons mais souvent ignoré en France. Par rapport à la méthode des loci ceux-ci présentent quatre avantages décisifs. Tout d’abord, sur le plan de la conception ils permettent de reproduire beaucoup plus fidèlement non seulement les mécanismes de mémorisation mais aussi le fonctionnement de l’esprit humain. Ils utilisent à cet effet l’arborescence, les formes, les couleurs, les images et les mots clés. Secondement, ils ne constituent aucunement une tâche supplémentaire, bien au contraire car en intervenant dès le stade de la rédaction ils facilitent à la fois cette dernière et la mémorisation, réflexion et mémorisation étant indissociables. Le troisième avantage est que grâce à l’informatique ils sont d’utilisation très facile et même ludique Enfin last but not least ils peuvent être utilisés en même temps comme logiciel de présentation, à l’instar de Powerpoint mais de manière beaucoup plus performante.

5. Une action oratoire dépassée par l’évolution de la société et par les techniques audio-visuelles

Je ne m’étendrai par sur ce point. L’action oratoire, la prise de parole proprement dite, est à elle seule un sujet d’études. Elle demeure cependant étroitement conditionnée, on l’a vu, par les quatre étapes précédentes de la rhétorique.  On peut certes trouver de bons conseils en matière d’action oratoire dans les ouvrages de rhétorique classique mais, évidemment, sous la seule forme écrite. Ils sont par ailleurs le plus souvent très connotés à l’époque pendant laquelle ils ont été formulés. Il va sans dire que les techniques audio-visuelles constituent une révolution dans la mesure où le candidat orateur peut grâce à elles non seulement se voir et s’écouter mais aussi répéter l’opération autant de fois qu’il le juge nécessaire.

 

Ve PARTIE – LA RHÉTORIQUE EST INTEMPORELLE ET UNIVERSELLE. QUATRE EXEMPLES

Plus on avance dans l’étude de la rhétorique, plus on est impressionné par sa généralité et par la polyvalence qui en résulte. Les trois fondamentaux de la rhétorique, la raison, les valeurs, les affects et les trois langages qui permettent de les toucher apparaissent non seulement comme intemporels mais aussi comme universels. Née dans la Grèce antique, la rhétorique a ensuite gagné l’Empire romain, puis l’Europe entière d’où elle a migré aux  États-Unis où elle est couramment enseignée aujourd’hui. Or, on sait que le modèle universitaire de ce pays est devenu un modèle mondial. (Cf. U.S.A. : 20.000 centres de formation à la communication). Cette intemporalité ne peut sans doute s’expliquer que par l’universalité des six concepts ci-dessus.

Il n’est donc pas surprenant que la rhétorique puisse s’intégrer non seulement dans tous les domaines de l’activité humaine, y compris les plus généraux comme la philosophie, la politique, ou l’économie mais aussi dans des sujets plus spécifiques, plus circonscrits, dans la communication quotidienne.

Cela ne signifie nullement que la rhétorique soit omnisciente et qu’elle se substitue aux disciplines générales mais que ses six concepts directeurs peuvent servir de cadre, de référence, d’étalon, de mesure pour chacune. On pourra constater ci-après que quelles que soient les sciences ou les disciplines concernées, leur violation  s’avère en général  source de graves incompréhensions et erreurs, ce qui est une autre manière de confirmer leur universalité.

Toute communication qui se veut efficace devrait donc en tenir compte, à mon avis, de manière équilibrée en fonction du public auquel elle s’adresse. Je teste en permanence leur pertinence et je citerai, à ce sujet, quatre exemples d’application. Les trois premiers sont les plus significatifs, car ce sont les plus généraux : ils portent sur la philosophie, la politique, et le marketing. Le quatrième exemple est celui du C.V. Sans être aussi général, celui-ci touche néanmoins le sujet complexe qu’est la personne humaine. Il montre que la rhétorique peut aussi bien s’appliquer à des sujets plus spécifiques.

1. La philosophie

J’entends déjà les ayatollahs de la rhétorique pousser des cris d’orfraie à l’idée que l’on puisse considérer, ne serait-ce que partiellement, la rhétorique comme une philosophie, ou comme je le fais par ailleurs, comme une méthode de pensée !

Je ne fais, à ce sujet, que suivre des tendances périodiques historiques. A certaines époques, la rhétorique a été considérée comme l’alpha et l’omega de la connaissance, comme le socle de l’enseignement, à d’autres comme un simple ornement de langage tout juste bon à être utilisé par de médiocres plumitifs. Si on assiste, en France, aujourd’hui, à un très timide retour en grâce de la rhétorique, on constate qu’aux Etats-Unis, pays qui est devenu le modèle mondial de l’enseignement universitaire, elle est non seulement la base de l’enseignement de la communication mais aussi celle de l’enseignement en général.

Certes la rhétorique n’est pas une philosophie à proprement parler mais la philosophie n’échappe pas, à mon humble avis, à sa problématique. Ainsi, serait-il réducteur de considérer qu’une vie humaine est philosophiquement équilibrée lorsqu’elle est à la fois logique, éthique et psychologique ?

2. La politique

J’ai publié récemment dans ce blog un article intitulé : «Les 5 knock-out rhétoriques de l’élection présidentielle 2017». On y voit que l’échec de cinq candidats importants, de toutes tendances politiques : Hollande, Fillon, Le Pen, Mélanchon et Hamon, est manifestement dû à la violation de l’ensemble ou de certains des six concepts. Il apparait, entre autres, que le non-respect de l’éthique a été fatal à l’un des candidats et que celui de la logique, avec la promesse manifestement intenable d’un revenu universel, l’a été à un autre, sachant qu’il peut y avoir glissement d’une motivation à l’autre. Ainsi, un programme électoral répondant à la logique pourra être jugé par certains électeurs comme ne respectant pas l’éthique.

3. Le marketing

Ayant pratiqué cette discipline pendant plus de quarante ans, j’ai récemment pris conscience, à ma propre surprise, que les principes du marketing et ceux de la rhétorique coïncident parfaitement. Le marketing agit en quelque sorte comme un révélateur de la pertinence des trois langages de la rhétorique : la logique, l’éthique et la psychologie. Ceci ne doit nullement nous surprendre puisque l’un et l’autre reposent sur les mêmes fondamentaux de la nature humaine.

Prenons le cas d’un modèle d’automobile. Pour bien se vendre celui-ci ne doit-il pas être logique, éthique et psychologique, c’est-à-dire en d’autres termes, fonctionnel, de bonne qualité et sans vices cachés (Volkswagen !), tout en bénéficiant d’un design flatteur? La communication de ce produit ainsi bien positionné par rapport aux motivations de sa clientèle sera d’autant plus efficace qu’elle suivra et mettra en valeur les mêmes critères. Les publicitaires américains les plus avisés ne se privent pas d’agir sur ces trois registres, eux qui ont été formés à la rhétorique dans les meilleures universités.

Cette validation de l’universalité de la rhétorique par la discipline très concrète et de plus en plus proche des sciences exactes qu’est le marketing en raison de la surabondance de l’information numérique et de l’omniprésence des mathématiques me semble constituer un élément capital. En effet, le marketing fait partie intégrante de l’économie et cette dernière représente, comme la politique et la communication, une part essentielle de l’activité humaine.

4. Un exemple d’application de la  rhétorique à un sujet spécifique : le C.V.

Qui peut le plus, peut le moins. On peut certes appliquer la rhétorique, on vient de le voir, à des sujets très généraux comme la philosophie, la politique, ou l’économie, mais on peut sans doute aussi le faire en ce qui concerne de nombreux sujets spécifiques.

J’ai créé il y a sept ans dans une association parisienne un atelier dénommé «Marketing, communication et recherche d’emploi» que je continue d’animer. Pour convaincre, tout C.V. ne doit-il pas être logique c’est-à-dire bien structuré et illustré de faits et de chiffres, éthique c’est-à-dire respecter la vérité, et psychologique ? Ce dernier point, qui est négligé dans 99 % des C.V. concerne la présentation ou si l’on préfère le design cher à Raymond Loewy : mise en page, typographie, style et éventuellement illustrations.

 

Ve PARTIE – CINQ PISTES POUR RÉORGANISER L’ENSEIGNEMENT FRANÇAIS

Le sous-titre de l’étude de Michel Mudry qui comparait l’organisation de l’enseignement en France et aux États-Unis, étude citée dans « U.S.A. : 20 000 centres de formation à la communication » était « Comparer l’incomparable ». Ceci montre bien à quel point les différences sont grandes entre l’un et l’autre. Je ne reviendrai pas sur ces différences. J’ai tracé les cinq pistes que j’ai l’audace de proposer en ce qui concerne la réorganisation de l’enseignement français en me plaçant sous un angle purement pragmatique, c’est-à-dire sur celui des moyens utilisés et des résultats obtenus de part et d’autre. L’étude de Michel Mudry montre à ce sujet que le modèle universitaire américain tend à devenir un modèle mondial et que le modèle français en est très éloigné, ce qui expliquerait les médiocres résultats obtenus par ce dernier.

Mais avant d’examiner ces cinq pistes, il m’a semblé indispensable de rappeler certaines notions de base en ce qui concerne les processus cognitifs. Il semble bien que le fossé que l’on observe entre les deux pays en matière de résultats pédagogiques soit dû, avant tout, au fait que ces processus, notamment celui de la plasticité neuronale, ne soient pas respectés en France alors qu’ils le sont tout à fait aux États-Unis, et ce depuis l’origine. L’enseignement simultané de l’écrit et de l’oral constitue, à ce sujet, un must non seulement neurologique mais aussi par voie de conséquence pédagogique et économique.

1. Un must neurologique, pédagogique et économique : enseigner simultanément l’écrit et l’oral

1.1 Les zones du langage écrit et du langage verbal. La plasticité neuronale

Depuis longtemps les sciences cognitives, notamment les neurosciences, ont démontré, on le sait, l’existence dans le cerveau de zones distinctes en ce qui concerne le langage verbal et le langage écrit (V. Sciences cognitives : la grande importance de l’interconnexion entre la communication écrite et la communication verbale). Dans l’état actuel des connaissances, on en dénombre une douzaine. Elles sont interconnectées et sont par ailleurs susceptibles d’évoluer, de se modifier, de s’atrophier. C’est ce que les neurosciences dénomment plasticité cérébrale ou plasticité neuronale. Selon Wikipédia :

«La plasticité neuronale s’exprime par la capacité du cerveau de créer, défaire ou réorganiser les réseaux de neurones et les connexions de neurones»

Par ailleurs, la Programmation Neuro Linguistique (P.N.L.) rappelle que nous ne pouvons percevoir la réalité que par nos cinq sens : visuel, auditif, kinesthésique, olfactif, gustatif. Les deux premiers sont les plus importants chez la plupart des individus. Le cerveau fonctionnant de manière globale, plus le nombre de sens que nous utilisons pour percevoir la réalité est élevé, plus précise est la perception que nous avons de cette dernière et plus riche est, en conséquence, notre communication. C’est la raison pour laquelle il est important en matière de pédagogie en général et de communication en particulier que nos deux principaux sens, le visuel et l’auditif, soient exercés de manière équilibrée et simultanée, le premier par l’écrit, le second par l’oral.

Pour l’anecdote les deux seules circonstances de la vie dans lesquelles nos cinq sens seraient simultanément sollicités et qui, de ce fait, nous donneraient le plus de plaisir, seraient les repas, de préférence gastronomiques, et, dit-on, les relations amoureuses! Il faut, en ce qui concerne les premiers, faire très attention dans les repas d’affaires chers aux français, à ne pas se laisser influencer par la synchronisation des esprits que génèrent de bons mets et de bons vins et ne jamais signer un contrat pendant un repas ! On sait que l’un des grands secrets de l’exceptionnelle carrière diplomatique de Talleyrand fut, que de son propre aveu, il avait l’une des tables les plus raffinées de toute l’Europe ! Dans le même esprit, les confidences sur l’oreiller seraient déconseillées !

Au-delà de l’anecdote, on est confronté ici à la problématique essentielle du plaisir et de la souffrance. Constamment, nous recherchons le premier et tentons d’éviter la seconde. Le point important est que cette problématique vaut pour toutes les formes de communication. Nous apprécions les communications distrayantes et/ou qui nous apportent des connaissances qui nous intéressent et fuyons leur inverse. Les figures de rhétorique sont, sur ce point essentiel, une aide précieuse en matière de style. En effet, leur utilisation contribue de manière importante à la création des trois qualités principales sur lesquelles on le juge : la clarté sur le plan de la logique, la sincérité et l’image de l’orateur pour ce qui est de l’éthique et, sur le plan psychologique, la diversité et la qualité des affects touchés.

1.2. Ne laisser en friches aucune zone du cerveau

Le phénomène de la plasticité neuronale montre que si nous n’utilisons pas certaines zones de notre cerveau celles-ci tombent en friches, s’atrophient. Si nous cantonnons notre communication à l’écrit nous laissons en friches les zones de la communication verbale, et inversement. Par exemple, des études menées chez des musiciens ont montré que certaines zones de leur cerveau sont beaucoup plus développées que celles de non pratiquants. Il en est de même en ce qui concerne les chauffeurs de taxis londoniens lesquels doivent connaitre par cœur les milliers de rues du grand Londres.

1.3 La suppression de la rhétorique en France en 1902 a conduit, hélas! hélas! hélas! à privilégier l’écrit au détriment de l’oral

Nous avons vu dans « U.S.A. : 20.000 centres de formation à la communication » que dans ce pays c’est le développement exceptionnel de l’enseignement de la prise de parole en public et du débat d’idée (The art of formal debate) simultanément à celui de l’écrit qui, très vraisemblablement, a mené ce pays au leadership intellectuel et économique actuel.

À l’inverse, la suppression en France, dans l’enseignement, de la pleine utilisation du sens auditif, comme on l’a fait en supprimant la rhétorique, n’apparait-elle pas, avec le recul, à la lumière des sciences cognitives et compte tenu de la corrélation étroite entre enseignement et économie, comme une catastrophe pédagogique et économique majeure ?

2. Les cinq pistes

On parle souvent de décrochage scolaire en ce qui concerne les élèves, mais n’y a-t-il pas à la base décrochage pédagogique de l’enseignement français, comme le montre la comparaison entre la France et les États-Unis ? Selon la P.N.L. pour améliorer une performance, physique, intellectuelle ou artistique, la meilleure méthode est de prendre modèle sur l’excellence, en l’espèce celle des États-Unis.

Certes, je ne suis pas enseignant patenté, mais j’ai néanmoins deux expériences de l’enseignement. J’ai tout d’abord été habilité par le ministère de l’Éducation nationale à enseigner le marketing, ce que j’ai fait pendant plusieurs années. Par ailleurs, dans l’atelier que j’anime depuis sept ans, j’utilise couramment les méthodes de la P.N.L., de la rhétorique, et des N.T.I.C.

Cette double expérience ne fait aucunement de moi un enseignant en «bonnet difforme», comme aurait dit Coluche, mais elle me permet d’une part d’avoir pu constater l’efficacité de ces méthodes et d’autre part de mieux comprendre les raisons de l’efficacité de l’enseignement aux États-Unis, sachant par ailleurs que j’ai été étudiant dans ce pays pendant une année. Ce sont les raisons pour lesquelles je me permets de formuler, très succinctement, les cinq suggestions suivantes :

2.1. Envoi aux États-Unis d’une mission d’information sur l’enseignement de la rhétorique

Cette mission pourrait prendre contact avec les principaux acteurs de l’enseignement et de la communication tels, par exemple, l’American Council of Éducation (A.C.E.), la National Communication Association (N.C.A.), American Rhetoric, National Speech and Debate Association, Toasmasters International, ou encore avec des entreprises en pointe dans ce domaine telles Google, dont on connait les recherches avancées dans le domaine de l’intelligence artificielle et Facebook, le leader des réseaux sociaux.

2.2. Création de chaires de rhétorique dans les établissements d’enseignement supérieur

Si la rhétorique est langue si vivante aux États-Unis, c’est qu’elle est couramment enseignée dans un grand nombre d’universités, soit sous ce nom soit plus fréquemment sous celui de Communication

2.3. Création de 4.000 centres de formation à la prise de parole en public de type Toastmasters

Les États-Unis comptent environ 20.000 centres de formation à la communication. La France n’en comptant qu’environ une centaine il lui faudrait, proportionnellement, en créer plus de 4.000! C’est sans doute cette comparaison qui illustre le mieux le fossé pédagogique entre les deux pays. Dans ces centres j’inclus intentionnellement les centres de formation à la prise de parole en public de Toasmasters International. Nous avons vu, en effet, que la performance pédagogique des États-Unis s’explique par l’enseignement simultané de l’écrit et du verbal et que l’interconnexion entre les zones du langage écrit et du langage verbal est un élément essentiel dont il faut absolument tenir compte.

2.4. Généralisation du projet Voltaire au niveau national pour l’apprentissage de l’orthographe et de la grammaire

Il est clair que vouloir développer l’enseignement de la rhétorique sans s’appuyer sur une bonne maîtrise de la langue écrite par l’orthographe et la grammaire serait un contresens. On oublie parfois que ces deux disciplines peuvent aussi être considérées, comme la rhétorique, comme des méthodes de pensée. J’ai testé le projet Voltaire. Celui-ci par son fonctionnement sur internet et son système de progression bien adapté au niveau de chaque utilisateur me semble constituer le meilleur moyen, sur le plan technique, de l’amélioration à grande échelle, au niveau national, de l’apprentissage des deux disciplines.

2.5. Prise de contact avec Tony Buzan, conseiller pédagogique d’états et inventeur du logiciel Mind Map

Tony Buzan
Tony Buzan

Tony Buzan, méconnu en France, mais connu ailleurs dans le monde entier, est formateur en communication et conseiller pédagogique de plusieurs états, dont certains très importants. Il est l’auteur d’une centaine d’ouvrages sur la communication et par ailleurs l’inventeur du logiciel d’aide à la réflexion et à la communication Mind Map. Ce logiciel peu connu en France est diffusé à plusieurs centaines de millions d’exemplaires dans le monde entier. C’est le logiciel que j’utilise pour illustrer mes articles ou lors de présentations par video-projecteur.

On sait qu’il existe deux principaux moyens de représentation graphique des idées : les tableaux et les arborescences. Par rapport à son concurrent PowerPoint qui utilise un dérivé des tableaux, les fameuses puces et qui est analytique, Mind Map est un logiciel qui utilise l’arborescence et qui est de ce fait analytique et synthétique. Mind Map est un puissant outil d’aide à la réflexion et à la communication. C’est la raison pour laquelle il se marie très bien avec la rhétorique, de même que nombre de N.T.I.C. (Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication). Le leadership des États-Unis en matière de communication repose sur ce mariage et constitue de ce fait un exemple à suivre.

 

Conclusion. La rhétorique et l’esprit critique : l’information pléthorique, la désinformation, la pensée unique, les fakes news, l’intelligence artificielle

« Trop d’information tue l’information » écrivait Noël Mamère dès l’année 2008. Il ne croyait peut être pas si bien dire ! Depuis, beaucoup d’eau s’est écoulée sous les ponts de la civilisation de l’information qui, insensiblement, est devenue celle de la communication, puis celle de l’intelligence.

S’il est vrai que la quantité phénoménale d’informations déversée quotidiennement par internet est déjà un obstacle important à la connaissance, se greffent de plus aujourd’hui des phénomènes qualitatifs qui ne le sont pas moins : désinformation, fakes news, médisance, calomnie, dérives de l’intelligence artificielle. A peine née, la civilisation de l’intelligence risque déjà de souffrir, si on n’y prend pas garde, d’une double indigestion, quantitative et qualitative !

Pour ces raisons et plus que jamais le développement de la culture et son corollaire celui de l’esprit critique sont des enjeux de société, l’antidote non seulement à ces déviances de l’information mais aussi à la pensée unique, au totalitarisme, au barbarisme. C’est là où le rôle de la rhétorique peut être déterminant.

Voici ce que dit de la nécessité de développer l’esprit critique face à la civilisation numérique Laurent Alexandre, auteur du best-seller «La Guerre des intelligences, Intelligence Artificielle versus Intelligence Humaine » (7), propos qui, à l’évidence, valent aussi pour décrypter l’information pléthorique, la désinformation ou les fakes news :

La guerre des intelligences
La guerre des intelligences

« Il faut travailler sur le sens, l’empathie, des compétences que le système éducatif ne développe pas alors que l’esprit critique est plus jamais utile »

« Il faut bien sûr donner une culture numérique de base à tous les enfants… mais il est plus crucial encore de former leur esprit critique ce qui les protègera de la concurrence de l’Intelligence Artificielle »

« Même Xavier Niel doit mettre un peu d’humanité – histoire et philosophie – au programme de l’Ecole 42 pour assurer l’avenir à long terme de ses étudiants ».

On note que Laurent Alexandre déplore que «le système éducatif ne développe pas le sens… alors que l’esprit critique est plus que jamais utile ». Je me permettrai d’ajouter : tout particulièrement en France. Dans plusieurs articles publiés dans ce blog j’ai moi-même insisté sur le fait que la suppression en 1902 de l’enseignement de la rhétorique fut une catastrophe pédagogique.

Parallèlement c’est, selon toute vraisemblance, le développement de cette discipline aux États-Unis qui a conduit ce pays à devenir, cent ans plus tard, le seul inventeur de la civilisation de la communication, ou plus exactement de celle de l’intelligence.

Développer l’esprit critique n’est-ce pas, en d’autres termes, apprendre à penser par soi-même? N’est-ce pas ce qui devrait être le but de tout enseignement? C’est là où apparait tout le potentiel de la rhétorique. Nous avons vu que celle-ci est plus qu’une méthode de pensée ou de communication parmi d’autres mais une méthode de pensée ET de communication, qui plus est intemporelle et universelle, sans équivalent semble-t-il, notamment en matière d’enseignement.

La définition classique de la rhétorique est, on l’a vu, l’art de persuader et ce faisant de captiver c’est-à-dire, étymologiquement, de capturer, de faire prisonnier l’interlocuteur ou le public. Il est clair que si nous maitrisons bien cet « art de persuader », de « captiver » nous possédons, à l’inverse, l’art de nous « dépersuader », de nous libérer de la désinformation, de la pensée unique, des fake news, du communautarisme. Nous exerçons, en somme, notre esprit critique.

Ne serait-il pas paradoxal et dangereux de développer l’intelligence de machines sans améliorer parallèlement notre propre formation intellectuelle? Le président Barack Obama lui-même s’est inquiété de la possibilité croissante de décalage entre les deux formes d’intelligence :

Barack Obama
Barack Obama

« Avec les Ipod, les Ipads, les Xbox et Playstation, l’information devient une distraction, une diversion, une forme d’amusement plutôt qu’un outil d’épanouissement ou un moyen d’émancipation »

Les enquêtes ne montrent-elles pas déjà que les jeunes passent chaque jour, en moyenne, quatre heures devant les écrans, souvent dans des activités de divertissement? Les multiples forums de toutes sortes que l’on trouve sur internet ne sont-ils pas souvent d’une indigence affligeante tant sur le plan du fond que de la forme si bien qu’on a parfois du mal à comprendre la signification des échanges?

Fort heureusement, on assiste aujourd’hui à un certain  retour en grâce de la rhétorique. (8), Mais celui-ci est encore bien timide, car dû à la seule initiative privée et très partiel car centré sur la seule phase oratoire, sur la prise de parole, sur l’éloquence, phase qui n’est que la partie émergée de l’iceberg de la communication. Il reste énormément à faire si l’on veut simplement se mettre au même niveau que les Américains.

Il ne faut jamais oublier qu’aujourd’hui encore la phase oratoire, la prise de parole, n’est que la cinquième et dernière étape de l’art oratoire proprement dit, art oratoire dont la méthode est la rhétorique. Les trois premières étapes, les plus importantes puisqu’elles conditionnent la phase oratoire, sont consacrées, on l’a vu, à la réflexion. Il semble impossible d’inverser cette séquence, car dans cette hypothèse ce serait, comme le dit bien l’expression populaire « parler sans réfléchir ».

En d’autres termes, la communication est, avant tout, contenu, et ce dernier ne peut être, à l’évidence, le produit que de notre réflexion. Vouloir développer l’éloquence sans passer par la phase de la réflexion de la rhétorique serait à mon avis, je l’ai déjà dit,  « mettre la charrue avant les bœufs ».

D’autre part, il faut bien avoir à l’esprit que la rhétorique n’est plus enseignée en France depuis 1902. Parallèlement, on a vu qu’il existe aux États-Unis plus de 20.000 centres de formation à la communication et que, proportionnellement, il en faudrait en France plus de 4.000 pour parvenir au même niveau de culture de la communication.

Dans « U.S.A. : 20.000 centres de formation à la communication » je laissais déjà le mot de la fin à Michel Mudry, ancien président de l’université d’Orléans. Je récidive aujourd’hui car on ne peut mieux résumer, à mon avis, la situation et la problématique de l’enseignement français :

L’American University n’est pas un modèle parmi d’autres. Il se trouve au contraire qu’il tend de plus en plus à devenir un prescripteur pour le monde entier… Ce paradigme s’installe dans le monde entier, et dans la mesure où nous en sommes, nous, les plus éloignés, dans une optique de compétition internationale, il y a un intérêt stratégique à le bien connaitre».

Louis Marchand

  1. Mind Map. Dessine-moi l’intelligence. Tony et Barry Buzan. Eyrolles. 2012
  2. Classical Rhetoric for the Modern Student. Fourth Edition. Edward P.J. Corbett. Robert J. Connors. Oxford University Press. 1999. p 26
  3. Histoire de la rhétorique dans l’Europe moderne. Marc Fumaroli, de l’Académie française, professeur au Collège de France, titulaire de la chaire : « Rhétorique et société en Europe ». Presses Universitaires de France. 1999. p 644, 1127, 1331, 1332, 1348
  4. Pouvoir Illimité. Anthony Robbins. J’ai lu. 2008. Chapitre 12 : Le pouvoir de la précision
  5. Dictionnaire de rhétorique. Georges Molinié, professeur à l’Université Paris-Sorbonne, spécialiste de stylistique française et de sémiotique. Livre de poche. Mai 2017. p 191
  6. De la théorie des lieux communs dans les Topiques d’Aristote. Eugène Thionville, ancien élève de l’École normale, professeur de rhétorique au lycée impérial de Limoges. Paris. 1856. p 124. V. également l’introduction de l’ouvrage dans BNF – Gallica – 2012 -concernant l’opinion très négative de Cicéron puis des auteurs de la logique de Port Royal sur la théorie des lieux, ces derniers considérant les Topiques comme des livres « étrangement confus »!
  7. La guerre des intelligences. Intelligence artificielle versus intelligence humaine. Dr. Laurent Alexandre.  J.C. Lattès. Octobre 2017
  8. Le Figaro. L’éloquence ou le grand retour de l’arme oratoire. 7/01/2018
Crédits iconographiques. Creative Commons : Aristote, Freud, Ciceron, Raymond Loewy, Quintilien, Socrate, Tony Buzan,  Barack Obama

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